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20 janvier 2018

LIVRE : Couleurs de l'Incendie de Pierre Lemaitre - 2018

1Fort du succès de Au revoir là-haut, Lemaitre nous sert aujourd'hui une suite à sa saga drolatico-cruelle. Couleurs de l'Incendie s'avère plutôt être une continuité, mais nous voici dans un univers assez différent, ne serait-ce que dans l'époque : dans l'immédiat après-première guerre, Madeleine est une bourgeoise indolente, qui ne se pose aucune question sur son statut de nantie, et vit sa vie tranquille de femme de banquier. Mais une série de catastrophes va s'abattre sur elle, entre le suicide raté de son fiston, les malversations de ses collaborateurs et les trahisons des amis de toujours. Dans cette période troublée de montée du nazisme, où chacun travaille pour sa propre paroisse et fomente coup de pute sur coup de pute dans l'ombre, Madeleine, ruinée, va se mettre en tête de se venger de ceux qui l'ont trahie. Cette vengeance sera terrible, sans pitié, et racontée comme il se doit longuement par un Pierre Lemaitre en grande forme, qui ménage les coups de théâtre, les revers de destin et les petites piques ambigues en véritable orfèvre.

Le gars n'a rien perdu de sa verve romanesque. C'est un conteur hors-pair, capable de vous tenir éveillé de longues heures par sa façon de raconter, par son dosage diabolique de suspense et de drolerie : tous les personnages de ce roman sont attachants, épais, complexes (malgré, parfois, une certaine tendance au manichéisme), le gars prend tout son temps pour nous monter des biographies à la fois pathétiquement ordinaires et passionnantes : un ado handicapé fan d'une cantatrice anti-nazie, un journaliste vereux prêt à tout pour gravir les échelons, un banquier raté affligé devant la laideur de ses filles, un prolo illettré mais sur-efficace en sabotage, un assistant discret qui se transforme en monstre d'arrivisme, une bonne polonaise... J'en passe et des meilleurs. Cette pâte très humaine rend le livre crédible, attachant, on déteste tous ces gens tout en les adorant et en tremblant pour leur destin. Dirigeant tout ça, Madeleine est un personnage très fort, à la fois faible et surpuissant, et son entêtement ira vraiment très loin. Lemaitre, adaptant son écriture à l'époque, semble écrire comme un des ces petits-maîtres du début du siècle, Romain Rolland, Georges Duhamel, Paul Morand ; s'il y avait du Dumas dans Au revoir là haut, c'est cette fois-ci à cette écriture sans façon, modeste et brillante qu'il s'attaque ; le résultat est formidable : rien de clinquant dans ce style souvent très fonctionnel (le livre est plein de "Il ouvrit la porte", ou de "Il se rendit au chateau"), tout est dirigé vers le récit, qui s'enchaîne avec une fluidité remarquable. Beaucoup de dialogues à double-sens, cruels et fins, un rejet des longues descriptions, un sens impeccable du twist, un humour bien en place : un vrai plaisir de lecteur, plaisir démodé de lire un roman qu'on croirait vieux de 100 ans.

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