Beizai signe son premier film, un film iranien sauvé des eaux par l'incontournable Scorsese. 1972, c'était encore une époque où les femmes n'étaient pas obligées de se couvrir la moustache, une époque où on pouvait flirter sans être la cible de cailloux. Il s'agit d'une histoire plutôt simple, celle d'un instit qui débarque dans une petite ville et qui tombe immédiatement raide dingue de la belle Parvaneh Massoumi. On pourrait s'arrêter là et les laisser vivre heureux pendant le reste de leur vie. Seulement voilà, on le sait, sur cette basse terre, il faut ramer. Il faut ramer contre sa timidité (notre instit est un peu gauche, maladroit même et d'une pudeur de jeune fille). Il faut ramer contre les prétendants, aussi, en l'occurrence (et cela va faire plaisir à nombre de commentateurs de ce blog) un enfoiré de boucher (moustachu, fier à bras, con comme une brochette de foies de volaille). Et pis il faut aussi être capable de gagner le cœur de la donzelle, qui ne peut résolument point se jeter à votre cou au premier coin de rue - Tinder n'était pas encore fonctionnel. Bref, la partie est loin d'être gagnée pour notre instit qui se retrouve en plus la cible de rumeur et de quolibets : tout le monde (ses élèves en premier lieu) sait qu'il fait les yeux doux à la jeune femme mais qu'il a deux pieds dans le même sabot. Autant dire qu'avant de faire sa déclaration, de l'eau risque de couler sous les ponts...

Alors oui, notre instit est diablement timoré, presque comique dans ses maladresses et n'a rien d'un Don Juan. Il doit en plus se frotter à ce boucher prêt au moindre écart à le détruire (ce qu'il fera d'ailleurs en plusieurs occasions) mais peut éventuellement compter sur ses élèves qui, d’abord moqueurs, finissent par prendre son parti ; ils se rendent bien compte que sans leur aide, l'instit risque de passer à côté de l'amour de sa vie… Si le ton, au départ, est plutôt du côté de la comédie, on vire progressivement vers une atmosphère romantico-dramatique : notre instit doit s'employer pour franchir le pas (il s'adonne même au sport ce qui n'est jamais bon signe) avant de connaître un premier instant de bonheur suspendu ; lorsqu'il marche au côté de sa belle sous des trombes d'eau (une séquence, nocturne et humide, de toute beauté), on sent que notre photocopie de Gotlieb iranien (ah si) est proche du nirvana... Plusieurs scènes d'ailleurs sont joliment romantiques (en particulier lorsque nos deux tourtereaux se retrouvent dans le dédale de la ville grâce aux dessins des enfants sur le mur) ; notre instit, qui mord tout de même pendant longtemps la poussière, aura même droit à son instant de gloire, encore une fois grâce aux élèves, quand il sera sommé par les gamins de remettre les prix de fin d’année au nez et à la barbe des "officiels" : instant rock'n'roll de l'enseignant qui monte sur les tables sous les vivats et en présence, c'est cadeau, de celle qu'il aime. Mais le cinéaste iranien ne va pas pour autant laisser son film aller en pente douce vers un happy end. Notre homme se verra encore mettre des bâtons dans les roues pour pouvoir vivre tranquillement son idylle et le suspense durera jusqu'au bout quant à leur éventuelle union... Le film, doux-amer, dresse un portrait d'un Iran qu'on a surement trop vite oublié (1972, année de toutes les libertés…) et livre au passage une très belle histoire d'amour contrariée. Au niveau de la forme (un montage pas toujours très fluide) et du mélange des genres (un comique un peu forcé et un acteur principal pas si à l'aise que cela dans ce registre), c'est parfois sans doute un tantinet bancal mais cela n'empêche en rien de prendre un grand plaisir à cette romance qui marche tout du long sur un fil.

Ragbar (1972) de Bahram Beizai

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