Ça fait du bien de constater qu'il y a encore de jeunes cinéastes prêts à tenter des films sensoriels et expérimentaux, et qui ne s'accrochent pas désespérément à leur scénario. C'est le cas avec ce film du hollandais David Verbeek, qui nous sert avec Full Contact un trip halluciné, qui dévisse assez vite de son histoire pour partir dans les méandres d'un cerveau, dans les hallucinations d'une psyché, dans les délires d'un subconscient qui part en sucette. L'événement traumatique qui va faire vriller le héros a lieu au bout d'une demi-heure de film froid, distancé, presque effrayant de neutralité : Grégoire Colin interprète un militaire pilote de drone, un de ces types au sang froid qui torpille à distance des terroristes à l'autre bout du monde dans une indifférence totale. Le type est rompu à l'exercice, et quand on lui ordonne d'exploser un bâtiment pour descendre un boss jihadiste, il n'a qu'une légère hésitation. Mais il détruit en fait une école et tous les enfants qui vont avec. Erreur qu'il impute à ses supérieurs, rien ne bouge en surface, le gars a l'air d'encaisser le choc en brave petit soldat.

Sauf qu'à ce moment-là, le film décroche complètement et part dans une autre dimension. Par une ellipse que je qualifierais de géniale, nous voilà sur une île déserte, où notre soldat vit comme un Robinson. Qu'est-ce qui l'a amené là ? On se pose la question, mais on comprend très vite qu'on est passé dans une autre strate de fiction, quand le terroriste qu'il a tué à l'épisode précédent revient et que le gars est obligé de le flinguer à nouveau. Puis une nouvelle brisure nous fait comprendre définitivement qu'on est dans une trame beaucoup plus symbolique que concrète : en France, le soldat s'entraîne pour devenir un as du "full contact", sous la férule intensive du même terroriste... Un éternel recommencement, quoi, qui force cet être distancé et indifférent à aller au contact des choses, des gens, des corps, de la mort. Car cette succession d'épreuves confronte réellement notre homme à son acte, à accepter que les peaux se touchent, à expérimenter la sensation d'avoir un corps entre les mains et de lui faire du mal. En parallèle, on suit ses relations avec une jeune fille aux identités également changeantes, le sexe et l'amour allant de paire avec sa métamorphose : d'une soi-disant impuissance sexuelle il va aller jusqu'à l'amour, et traverser le prisme des sentiments.

Un film parfois âpre, lent, difficile d'abord, mais qui gagne des points sur la longueur : le projet de Full Contact est magnifique, apprendre à un homme à affronter sa propre violence, à appréhender le monde en être humain. Et il prend une forme hantée du plus bel effet. Le film n'est pas dépourvu de défauts, parfois clicheteux dans sa représentation des combats, parfois un peu trop ouvertement allégorique pour vraiment rester dans le concret. Mais il est chargé en émotions et porté par un acteur très étonnant : Grégoire Colin, en pleine construction d'acteur, est superbe dans son jeu, parfois laid et grimaçant, parfois beau et presque neutre, un être rempli de névroses et de doutes, mais qui ne communique pas, qui n'a pas d'interactions avec l'extérieur. Cette exploration d'une psyché est remarquablement mise en scène par des plans incarnés, charnels, où le corps a une importance cruciale, où on ne voit très souvent que des peaux qui se heurtent, des souffles, des hommes qui souffrent ; la renaissance du héros n'ira pas sans mal, je peux vous le dire. Le film accompagne sa mutation en se moquant des codes sacro-saints du scénario tout-puissant, et le résultat est superbe. Un film qui n'aura aucun succès, mais qui touche profondément.

Full Contact de David Verbeek - 2015

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