Revoir le logo de la Cannon et les noms de Golan/Globus au générique d'un film a un effet indéniablement madeleine et également rebutant : Runaway Train est un film d'action à burnes comme les années 80 en ont produit à la chaîne avec plus ou moins de bonheur, nous voilà prévenus. Et il est vrai que, durant la première demi-heure, on est assez déçu d'avoir été entraîné dans cette improbable séance de ciné-club. Nous voilà dans une prison sur-sécuritaire posée au milieu de l'Alaska, avec ses gueules patibulaires, son directeur torve et sa légende : Manny est une quasi-bête multi-récidiviste, dangereux ça comme, le mythe de cette prison. Il mettra à peu près 12 minutes à s'évader de ladite, en se camouflant dans un panier à linges, voyez l'aisance. Il entraîne avec lui un jeune prisonnier admiratif pour une escapade dont je vous raconterai la suite au deuxième paragraphe. Focales longues sur les gueules cassées des taulards, contre-plongées sur les couloirs salaces et humides du pénitencier, prisonniers se livrant à des séries de pompes en éructant des blagues sexistes, Konchalovsky s'offre gentiment tous les clichés possibles sur la chose, échouant à la fois à planter une atmosphère et à nous faire vibrer à quelconque endroit. La scène de bagarre est ratée, pas assez tendue, la scène d'évasion est ridicule : la seule chose à sauver de ce premier quart est l'introduction du personnage principal, montré à la fois comme un homme et comme un animal (ce regard brillant dans l'obscurité, brrr). On sent qu'avec Jon Voight, Konchalovski dispose d'un matériau prometteur, le bougre ne va pas se géner pour l'utiliser.

Le film prend son intérêt dès que nos héros se retrouvent à l'extérieur. Ils vont emprunter un train pour fuir les terres désolées de l'Alaska, mais par un concours ballot de circonstances, ce train va se retrouver livré à lui-même, en pleine vitesse et sans pilote, entraînant nos gars vers une mort certaine, accompagnés sur le tard par une gonzesse-alibi sans importance. Dès lors, ça devient intéressant. D'abord parce que la mise en scène se déploie avec beaucoup d'ampleur, montrant ce train, superbement dessiné en machine de mort (cette locomotive morbide, squelettique) au sein d'un paysage résolument hostile. Il y a presque une envie d'abstraction dans ces plans larges montrant la ligne droite du chemin de fer au milieu de la blancheur de l'Alaska, dans cette façon de placer l'immobilité (le trio confiné dans un wagon) au milieu de la vitesse. Toujours lisible, toujours faussemnt simple, le dispositif de la mise en scène est à la fois entièrement voué au spectacle et très beau dans sa forme. La "lenteur" du film (pourtant pas avare en scènes d'action) permet aux acteurs de montrer leur talent, et je vous promets qu'il y a du très gros avec Voight : il invente une tronche, une voix, une façon de bouger, qui le rendent aussitôt mythique, à la fois burlesque et monstrueux, dans une composition à l'américaine qui force le respect. Plus effacé, mais d'autant plus touchant justement, Eric Roberts a du répondant face à lui, en fils putatif complètement gagné par l'admiration (de l'acteur et du personnage).

Dans son dernier tiers, le film devient vraiment impressionnant, trouvant enfin la profondeur que le nom de Kurosawa au générique (comme initiateur du scénario) laissait attendre. Le voyage infernal des gusses vire à la virée métaphysique, se concluant sur une poignée de scènes mythiques qui convoquent le thème de la paternalité, de la foi et de l'émancipation. Comme Spielberg sait le faire parfois, Konchalovsky parvient à évoquer l'abandon d'un père et le mûrissement de son fils en filmant dans le bruit et la fureur un wagon détaché d'une locomotive ; ou à évoquer une lecture sacrée du film en montrant Voight, en Christ, s'enfonçant dans la brume comme un fantôme. ; ou à suggérer une famille recomposée dans un simple plan rassemblant un vieux, un jeune homme et une jeune femme se serrant dans les bras les uns les autres. Ces tendances à la profondeur et à l'interprétation cèdent pourtant toujours la place au spectacle pur, et c'est tant mieux : Runaway Train est avant tout un film à pop-corn, fun et parfait, modeste et très bien tenu. On est donc bien content.

Runaway Train d'Andrei Konchalovsky - 1985

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