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Shangols
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1 février 2020

LIVRE : Miroir de nos Peines de Pierre Lemaitre - 2020

9782226392077,0-6253143Hop je grille mon gars Shang dans le peloton, sprint, et je franchis la ligne d'arrivée en tête (puisque je sais qu'on a lu le même livre en même temps). Alors alors, le nouveau Pierre Lemaitre, autrement dit la nouvelle arme de destruction massive pour libraire endetté, qu'en penser après les beaux coups de maître des deux premiers tomes (Au revoir là-haut et Couleurs de l'incendie, excellents souvenirs) ? Eh bien, du bien, du bien, même si on regrette que le style ample et très tenu du sieur se perde un peu cette fois-ci. Trop de succès peut-être, une envie qui diminue un peu de tome en tome, en tout cas, Lemaitre est pris ici un peu en flagrant délit de flemmardise, livrant sans conteste le moins bon volume de la série, même si on apprécie encore ça et là sa patte de feuilletoniste classique et taquin.

Nous sommes en 1940, les Allemands avancent sur Paris, la France est en exode sur les petites routes qui mènent à Orléans. C'est dans ce contexte spectaculaire que le roman plante sa trame, développant en chapitres alternés une poignée de personnages bien entendu plongés en même temps dans la grande histoire et dans la petite : une femme qui recherche un frère inconnu après la découverte d'une filiation chaotique ; un soldat entraîné à la désertion par un autre, plus malin et plus madré ; un gradé soucieux de retrouver sa femme exilée à la campagne, mais qui doit escorter un groupe de prisonniers jusqu'à Orléans ; et un homme qui prend plein d'identités différentes et parvient à bluffer tout le monde, grand usurpateur sans but autre que le panache. Bien, on connaît ce genre de construction par coeur : chacun a ses quelques pages, arrive un événement capital, puis on change de personnage, et à la fin tout le monde se retrouve et se découvre des liens inattendus. Lemaitre est parfait dans cet exercice, parvenant toujours à relancer notre attention dès qu'elle retombe un peu (et elle retombe cette fois plus souvent que d'habitude), fabriquant de jolis personnages au destin extraordinaire pour nous tenir en haleine, dosant parfaitement son suspense et ses coups de théâtre. On aime beaucoup le personnage de Gabriel, notamment, petit mec honnête pris dans les manigances douteuses de son collègue Raoul, et qui voit sa vie sombrer dans le crime alors qu'il est d'une droiture totale ; et celui de Raoul aussi, sorte de Bébel débrouillard à qui tout sourit, qui traverse la guerre en profiitat de tout et de tout le monde. Moins les deux autres personnages principaux, alors qu'ils semblent avoir la préférence de Lemaitre : Louise est un peu clicheteuse avec ses lettres d'amour et sa quête obsessionnelle, et on doute un peu de sa véracité ; et surtout Désiré est raté, trop génial dans les personnages qu'il se crée (d'abord responsable de la propagande, puis curé), jamais pris en défaut : s'il représente le côté anti-militariste (la guerre est une histoire de trucages d'infos) et anti-cureton (tout le monde peut êre un saint) de Lemaitre, on ne croit pas à ces personnages trop marqués, trop "parfaits".

L'histoire se lit bien, c'est vrai, éventuellement en faisant autre chose, ce qui n'est pas tout à fait bon signe. Lemaitre tombe assez souvent dans l'easy-reading, abandonnant les beaux efforts de lyrisme des premiers tomes, laissant tomber son aspect baroque, mais se laissant au passage aller à une langue facile et livrant même quelques phrases (et quand je dis "quelques", je suis sympa) très laides et complètement banales, quand elles ne sont pas anachroniques dans leur style populaire. Miroir de nos Peines est assez mal écrit, quoi, voilà, c'est dit, et ne tient que grâce à son scénario, il est vrai efficace. Le contexte de l'exode, ceci dit, est très bien exploité, on est vraiment dedans, et il arrive à retracer cette époque assez peu traitée dans les romans en vrai visionnaire. On y croit, les bombardements allemands pèsent leur poids de terreur, et il invente à la fin un havre de paix campagnard, une sorte d'utopie rousseauiste, assez jolie, se permettant quelques pointes de poésie (et de littérature, enfin !). A côté de ça, plusieurs idées tombent à l'eau, dont celle d'un chien mythique attelé comme un cheval à une charrette. Bref, à boire, et pas que du nectar, et à manger, et pas que du foie gras, dans ce roman qui reste amusant et intéressant, mais qui montre un auteur un peu victime de son succès. Il serait bon maintenant que Lemaitre passe à autre chose, et retrouve son mojo de jadis. (Gols 01/02/20)


Toujours un plaisir de retrouver le gars Lemaitre qui nous sert du bon vieux roman à l’ancienne. Comme une bonne vieille soupe dont on a pas changé les ingrédients depuis des générations, on prend sa petite louche de Lemaitre, chapitre après chapitre : le romancier saucissonne son roman en fonction des personnages dont on suit, à tour de rôles, les aventures ; on alterne ainsi les plaisirs avec plus ou moins d'attention : on préferera en effet les mésaventures de Gabriel et Raoul qui se retrouvent au front comme deux glandus, font leur petit acte héroïque, désertent, pillent avant de se retrouver prisonniers sur les routes de France. Ce sont eux qui portent le souffle romanesque dans cette oeuvre qui tente de faire parallèlement la part belle aux histoires de famille... ratées - enfants abandonnés, mère marâtre, père absent. Ces histoires de famille ajoutent une petite touche de suspense (qui va retrouver qui ?) même si on se doute qu'à la fin tout le monde devrait se tomber dans les bras. Pas autant de réserve que Gols au niveau de l'écriture, un peu plus au niveau de la trame : même si Lemaitre, en bon artisan romancier, a lu son petit paquet d'oeuvres historiques pour rendre son histoire crédible (et elle l'est), on sent qu'il est un peu à la peine cette fois-ci pour construire des personnages et des destins vraiment marquants. Il sort notamment de son chapeau un personnage comme Désiré, multi-casquettes, acteur né (aussi crédible en avocat qu'en censeur de journaux qu'en curé) mais il y a ici un petit côté surfait et too much (Dupontel dans le rôle ? Roh ça va) qui jure un peu avec ce respect constant de l'Histoire. On imagine (assez facilement d'ailleurs) une adaptation de la chose (pour la télé ? On pourrait presque déjà faire le casting) sans avoir forcément envie de la voir. On passe certes un moment sympathique mais, malgré les petits rebondissements, sans jamais franchement tomber de haut. La déroute, l'exode, le bordel ambulant, très bien mais aucun épisode vient marquer particulièrement l'esprit (les prisonniers fusillers, oui, peut-être... et encore). Un Lemaitre maitrisé, calibré en effet pour vieilles personnes (ce n'est en rien péjoratif, attention) se rendant méthodiquement en librairie. Qu'il en vende plein le bougre et qu'il passe à la science-fiction - on le suivra avec plaisir hors des sentiers battus. (Shang 01/02/20)

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