André Bonzel est à la fête cette semaine : voici le film qui, à vingt ans (je parle pour vous comme pour moi), permit de se dire qu'avec très peu de fric on pouvait réaliser le film le plus drôle, le plus violent, le plus créatif de cette fin de siècle languissante. C'est arrivé... est plus que culte, c'est du cultissime avec des répliques devenues virales, mythiques. Poelvoorde, plus trublion que jamais, mène la danse : s'il dézingue tout ce qui bouge, ou quasiment, devant cette équipe de télé ébahie mais vite partie prenante, il est surtout responsable des monologues les plus fendants du cinéma francophone du dernier millénaire : qu'il parle du petit Grégory (le cocktail dont on ne se lassera jamais), d'un vigile black bien monté, de l'haleine de bouc de Rémy, de l'implantation de cerisiers du Japon en zone urbaine, de la petite porte qu'il faut laisser entrouverte quand on est en relation, des homosexuels dans le milieu du spectacle, des gamins guère rentables quand on les trucide (Gamin ! gaminnnnn !)... on a beau le connaître par coeur, on ne peut s'empêcher à chaque fois de ricaner comme un âne devant ces propos terriblement absurdes et tendancieux assenés d'un air convaincu et hautain, infatué qu'il est, le Benoît, de sa finesse d'analyse et de la pertinence de ses jugements. Personne n'ose trop le contredire, remarquez... Faut dire que lorsqu'on se fout de sa gueule, on risque de se prendre une balle au milieu du front ce qui a automatiquement tendance à péter l'ambiance.

C'est arrivé... c'est tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la façon d'assassiner son prochain, c'est tout ce que vous avez besoin de savoir pour suivre, en équipe légère, le personnage principal de votre reportage, c'est tout ce qu'il faut savoir mettre dans un film comme petite dose d'humour pour passer automatiquement à la postérité. Ce film fut une bombe et on regrette que les trois compères (avec des trajectoires professionnelles pour le moins diverses par la suite... sans même parler de ce pauvre Rémy mort trop tôt) n'aient pas réussi à remettre le couvert par la suite. Un "one shot" en quelque sorte suffisamment puissant sur le coup pour rester dans les annales. C'est donc caustique, à fond, mais également d'une noirceur terrible ; on sait d'avance, chaque fois qu'on le revoit, que la dernière demi-heure en particulier n'est pas d'une gaieté folle, l'ami Poelvoorde se prenant dans la tronche un terrible retour de bâton : c'est d'abord un uppercut qui le couche, puis un facteur qui lui échappe, puis un procès qui s'annonce mal, puis... le carnage absolu, les trois compères réalisateurs allant jusqu'au bout du bout de leur logique dans cet humour très noir très noie (la musicienne retrouvée avec sa flute dans le cul, et la mère qui balaie ?) : un humour d'une violence inouïe qui laissera des traces sur tous les murs et dans tous les esprits. Une œuvre, on l'a dit, mortelle, qui a gardé toute sa hargne et sa drôlerie de clown mort. Les Belges, une fois - mais une belle.

C'est arrivé près de chez vous (1992) de Rémy Belvaux, André Bonzel & Benoît Poelvoorde

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