Un des rares films en langue yiddish à valoir le détour, d'après ce que dit le bon Patrick Brion qui ne tarit pas d'éloge sur ce film, et qui m'a convaincu de repousser le sommeil pour me taper la chose au milieu de la nuit. Ca n'augure rien de bon pour le reste de la production en yiddish, c'est le résultat auquel je suis arrivé au terme de la vision de ce film aussi passionnant que la bar-mitzvah du voisin. Complètement empreint de religion, jusqu'à faire en sorte que tous les rites, toutes les chansons et toutes les traditions juifs occupent 90% du film, Waszyński filme le microcosme d'un shtetl au XIXème siècle, et notamment cette légende du dibbouk : il arrive qu'un esprit mort trop tôt vienne hanter un corps encore vivant pour vivre les choses qu'il n'a pas vécues. C'est ce qui va arriver à la pauvre Leah, qui va se retrouver investie de l'esprit de l'homme qu'elle aimait, Hanan, qui s'est pourtant voué à Satan pour obtenir la belle. Trop pauvre, il a dû y renoncer, malgré la sorte de prédestination qui existait entre les deux tourtereaux (voués l'un à l'autre par un pacte du passé, bref). Le rabbin du coin va tenter un exorcisme en bonne et due forme pour faire rentrer tout ce petit monde dans le rang, et à grands renforts d'exhortations à Elohim et de grands gestes qui font peur, arrivera à mettre fin aux exactions du damné, quitte à perdre au passage la demoiselle. Le tout se déroule sous les yeux d'une espèce de fantôme sérieux comme un Juif sérieux, sorte d'oracle errant qui apparaît toujours au coin de l'écran pour balancer ses formules incantatoires flippantes.

La conception de la comédie musicale selon Michal Waszyński est tout de même assez éloignée de celle de Fred Astaire. La plupart des plans montrent des visages illuminés, yeux tournés vers le ciel, béatitude de la foi baignant leurs traits, poussant des chansonnettes que monseigneur Di Falco aurait trouvées trop rigoristes. Ces chants très lents, ces prières affublées d'une vague mélodie, et deux fois "Le Cantique des Cantiques", il fallait bien ça pour exprimer le mysticisme de cette communauté qui ne semble vivre que par et pour la religion. Ça donne certes de très beaux plans assez eisensteiniens sur les visages, ou des tableaux d'ensemble visuellement forts : Waszyński sait construire ses plans, en faire des tableaux religieux assez édifiants, et sa piété fait le reste pour rendre ce film solennel et tout de dignité revêtu. Très immobiles, les acteurs sont posés dans l'écran pour exprimer une certaine vision de l'icônographie religieuse traduite au cinéma. Pour être tout à fait juste, reconnaissons que ce jansénisme assez chiant est contrebalancé de temps en temps par quelques traits d'humour bienvenus (amenés par les petits rabbins croquignolets, ou par le fiancé officiel, juifissime dans son rapport aux autres et aux femmes, terrifié par tout) et par quelques chants de fête un peu plus gais : une danse entre hommes qui célèbrent le mariage ("Aïlahaïlalaï"), ou une marrante complainte (la fameuse souffrance du peuple juif semble inscrite directement dans la chanson : "Oyoyoyoyoy"). Enfin, on écarquille vraiment les yeux devant la danse du village, pour le coup véritablement païenne, où la mort vient danser avec l'héroïne devant des corps de gueux en transe, vrai coup de génie visuel qui évoque les tableaux de Ensler. A part ces pics d'invention (auxquels il faut ajouter la vision assez bluffante de Hanan évoquant Satan dans la fumée des bains, vraie image subversive dans ce film hyper mystique), on s'ennuie sévère devant ces plans répétitifs, cette solennité des gestes, cette lenteur d'exécution, ce scénario pas passionnnant et ces acteurs en dessous de tout. Pour tout dire, on n'en a pas grand-chose à battre des malheurs de ces pauvres jeunes gens en proie à un amour qu'on ne voit jamais à l'écran, freinés par une culture déifiée par le film et donc pas présentée négativement, et portés par des acteurs sans charisme (Léah et ses nattes à la Heidi, Hanan et ses yeux exorbités). On apprécie de voir tout ce petit monde en 1937, à deux doigts de basculer dans le chaos, et on voit bien le côté documentaire de la chose, mais ce film ne justifie pas la nuit blanche, sauf à vouloir se la péter sur Shangols.

Le Dibbouk (Der Dibuk) de Michał Waszyński - 1937

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