Voilà un film colombien sauvage non seulement de par sa nature, humide et un tantinet hostile, que de par ces êtres, preneurs d'otage, qui de simples militaires, se « kurtzisant », vont devenir de véritables bêêêêtes. Au départ, pourtant, l'ambiance est plutôt amicale dans ce camp de base : nos hommes et nos femmes s'amusent, flirtent, peaufinent leurs muscles sous les ordres d'une sorte de têtard bâti comme un mini-gorille. La mission : surveiller cette otage américaine, plutôt docile a priori. Un premier couac va intervenir : une vache est confiée à cette petite bande, symbole de la confiance de "l'organisation" envers leur taff ; seulement voilà, à force de faire la fête et de faire les fous-fous en tirant dans tous les sens, l'un d'eux abat la vache... Le chef du groupe est aux abois et se suicide – question d’honneur... Dans la foulée, le camp est attaqué. La petite bande s'en sort miraculeusement et décide de migrer dans la jongle avec l'otage... qui, à la première occasion, décide de s'enfuir. C'est le début de la débandade dans la troupe : la confiance des uns envers les autres s’effrite (une fois, puis deux…) et l'on sent que les règlements de compte ou les défections vont fuser...

Oui, l'atmosphère bon enfant sur lequel s'ouvre ce film ne va pas durer (les preneurs d'otage font un match de foot les yeux bandés – c’est encore l’heure de l’insouciance… aveugle, comme peut l’être la violence) ; si le ton est à la rigolade, l'avenir va en effet se charger de leur montrer que la moindre absence de rigueur peut être fatale. Les tensions montent au sein du groupe ; le nouveau petit chef (avec son physique d'avorton musclé), en soif de pouvoir et d'ascendant (surtout sur les femmes), va peu à peu bousiller le semblant de solidarité qui régnait jusqu’alors. Le contact de la jungle et les petites trahisons des uns envers les autres va provoquer une montée de la sauvagerie, de la brutalité, aussi bien d'ailleurs de la part de l'otage que de ses preneurs. Chasses à l'homme (et à la femme) vont rythmer cette seconde partie qui s'emballe. Dans des décors absolument éblouissants, Landes filme cette troupe en s'attachant très précisément au caractère de chacun : hommes et femmes ont chacun leur petit caractère, leur petit grain de folie ou de bassesse - les tensions sexuelles n'arrangeant rien. Dans ce théâtre de verdure sauvage, Landes met en scène des êtres qui se détachent de plus en plus des conventions, de la norme, pour tenter de survivre... On apprécie ce spectacle de toute beauté (celui de la nature) et cette façon de faire monter progressivement la violence au sein de la troupe ; à chaque instant, on s'attend à un coup d'éclat des uns ou des autres et plus d'une fois on se met à sursauter devant un coup de feu fatal venant de derrière nous... Qui parviendra à sauver sa peau et à quel prix – là sont les questions. Un Monos en rien figé, mais plutôt en mouvement constant qui vaut franchement le détour - un détour pas simplement touristique mais également cinématographique tant les poussées d’adrénaline et les désirs sont filmés à fleur de peau. Vert et noir. (Shang - 10/01/20)

Bien aimé itou cette sombre histoire toute en ambiguïtés, qui dévoile un metteur en scène très à l'aise quand il s'agit de filmer la nature ou les rapports entre les hommes. Enfin, les hommes... on ne sait pas trop, et on ne saura jamais vraiment, si ce qu'on regarde est une histoire de camp d'ados qui dégénère, de colonie de vacances trashouille ; ou si on est en pleine guérilla, avec ces mômes engagés pour faire la guerre dans la jungle. C'est toute l'ambivalence du film que de ne pas nous donner de réponses immédiatement, si bien qu'on ne sait pas si on est dans un film fantastique déviant façon Battle Royale ou dans une variation schroederienne autour des ravages de la guerre civile. Et des deux côtés, Landes s'avère bougrement compétent. Son film est chargé d'inquiétudes et d'hormones adolescentes, de fièvre et de tension. Si à l'écran, pendant la majeure partie du film, on a l'impression d'un jeu d'enfants qui dégénère peu à peu, tout ça est filmé avec sérieux : les exercices d'endurance ou de force imposés par le chef sont à la fois cruels et ludiques, à l'image de ce match de foot inaugural. Mais quand l'otage s'échappe la première fois, on voit bien que le jeu est fini, et que la violence a pris le dessus. La mise en scène de ce trouble est exemplaire, on ne sait jamais très bien où on est, quand on est, qui sont ces gens. Landes filme la jungle comme un monde hyper dense, serré, opaque, dangereux, et on a rarement ressenti cet univers avec une telle netteté. Le film, peu bavard, parvient à vous capter, malgré le fait que tous les personnages finissent par se méler (pas d'accord sur ce point avec Shang : on voit peu de destins individuels, mais plutôt un groupe à l'oeuvre, un "clan" pour ainsi dire). La seule réserve que je ferais finalement, c'est que le film manque un peu de fond, ne raconte pas grand-chose, et s'avère plus une expérience sensorielle que le film politique qu'il aurait pu être aussi. On se dit qu'on est malmené, dérangé, bousculé pour rien, et l'impression est un peu gênante. Mais de toute façon, un film envoûtant et vénéneux, mazette. (Gols - 11/03/20)

Monos (2020) de Alejandro Landes

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