Ne trouvant plus chaussures à nos pieds dans les films ricains (on a un peu tout vu...), partons plus au sud, au Mexique, oui, pour trouver notre lot de films noirs. C'est Galvadon qui s'y colle et qui tente de jouer les brillants élèves (entre ombre et lumière) pour nous donner notre quota d'émotion ; il bénéficie de la présence non pas d'une mais de deux Dolores del Rio puisque cette dernière incarne deux sœurs jumelles nées sous le signe, elles, de la haine... En effet, l'une vit richement et, comble du bonheur, vient de devenir veuve (autrement dit, à elle la caillasse !!!) ; l'autre est esthéticienne (autrement dit dans les mœurs du lieu et de l'époque prostipute...), pauvre et, comble du malheur (...), est amoureuse d'un chic type, simple détective - oui, aimer un type bien ne fait plus rêver depuis longtemps. Celle-ci, forcément, jalouse celle-là et ne trouve rien de mieux que de l'assassiner et de prendre sa place (elle met en scène, par ailleurs, le suicide de sa sœur en la faisant passer pour elle-même - c'est facile à comprendre, non ?). Et voilà, plus d'amoureux gentil et bête mais une vie richissime qui s'annonce !!! Elle se dégoûte un peu, la donzelle, mais l'argent est là pour tout faire oublier... Voilà, voilà... Petite complication tout de même à prévoir à l'horizon quand elle se rend compte que sa sœur avait un amant et qu'elle avait planifié avec lui la mort de son mari... oups, pas toujours facile de se mettre dans les chaussures des autres...

Galvadon, sûrement galvanisé par le genre et son héroïne, ne se refuse rien au niveau des effets dits climatiques (des torrents de pluie qui tombent sur la sœur jalouse, le tonnerre qui éclate quand elle se rend compte de l'horreur de son acte), des effets dits de miroir (la bougresse ne peut plus se regarder en face - elle se rend bien compte qu'elle est passée du côté obscur), ou encore des effets dit de lumière (la lumière effraie dorénavant notre assassine, comme si elle jetait un éclat sur son acte, et la voilà qui se réfugie dans l'ombre comme pour mieux cacher la personne ignoble qu'elle est devenue). Des petits effets de manche qui nous mettent dans l'ambiance juste après le meurtre. Ensuite, on aura encore droit à quelques scènes joliment pensées ; il y a notamment cette scène terrible où elle retombe sur son amoureux qui déclare toute sa flamme (elle lui avait offert comme dernier cadeau un briquet - symbole...) à la morte ; le pauvre, candide, ne réalise point que la femme qu'il aimait est encore en face de lui, et sa déclaration (un rien tardive... quoique) est touchante comme tout ; son amante, emprisonnée dorénavant dans son rôle de meurtrière ne peut que ravaler froidement toute émotion. Elle pense avoir fait le plus dur mais elle ira de Charybde en Scylla en tombant bon gré mal gré dans les bras de l'amant de sa sœur tuée (un amant qui, lui non plus, ne se rend pas compte du remplacement - les hommes sont affreusement aveugles, diantre !) : elle ne l'aime pas, il veut sa partie de pognon et semble prêt à tout pour la faire chanter... Cet assassinat devient pour elle un cauchemar sans fond : en incarnant sa sœur, elle se retrouve coupable d'un crime qu'elle n'a pas commis ; et en sortant de ce rôle, c'est reconnaître le crime de sa soeur... En un mot, en pensant se "délivrer" de sa condition, elle s'est piégée elle-même, perdant au passage son grand amour et sa propre estime d'elle-même. Le film (comme le parfait noir et blanc avec ces noirs à l'encre de Chine) reste noir jusqu'au bout et l'on prend un joyeux plaisir à suivre jusqu'au bout ce terrible scénar où la Dolorès (dans un rôle où elle peut briller de toutes ses facettes) prend double. Roberto, meo bravo.

Double Destinée (La otra) (1946) de Roberto Gavaldón

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