Harar. Rien que le mot. Errer à Harrar en lisant Arthur dans les effluves du khat. Il est des documentaire que l'on dit hypnothique (un doc c'est soit hypnothique soit édifiant, il n'y a pas de juste milieu). Hypnothique dans le sens poétiquement transcendant, ou dans le sens poétiquement chiant - c'est souvent selon l'humeur et le degré de fatigue. Disons-le ici, dès le départ, avec ce soin apporté au cadre, au jeu avec la lumière et à ce noir-et-blanc, on sent qu'on est parti pour une balade enivrante et belle dans cet étrange pays qu'est l'Ethiopie mais qu'on risque aussi de trouver parfois le temps un peu long... Il y a tout cela dans ce documentaire soyeux de Beshir qui se noie dans l'atmosphère de cette culture du khat, ceux qui la cultivent, ceux qui la ramassent, ceux qui la transportent, ceux qui la vendent, et ceux (tous ceux) qui la mâchent (et qui finissent selon l'expression consacrée à khat pat - ou tout du moins allongés, les yeux langoureusement perdu dans un autre monde sûrement plus rouge...). Les images de Beshir semblent toutes être tournées au ralenti alors même qu'elle ne fait que capter de la fumée d'encens qui s'envole, des gens qui parlent sous influence, des femmes couvertes de la tête au pied et que l'on filme de dos alors même qu'elles s'engagent dans d'étroites ruelles - comme des fantômes, comme des morceaux de tissus mouvants, comme des songes... Il est question aussi ici, beaucoup, de départ, d'envie de quitter ce lieu oublié, de rejoindre notamment le pays voisin, l'Egypte, tout en semblant ne pouvoir se défaire de ce lien à cette terre, à ces mères (les jeunes garçons comme les jeunes filles leur restant attachés - alors même que de nombreux hommes croupissent en prison pour avoir voulu plus de liberté), à ce khat dans lequel un grand nombre semble vouloir volontairement se perdre. A défaut de partir vers d'autres horizons, on peut, en mâchant, s'échapper dans d'autres mondes plus intérieurs, plus vastes, sans frontières, sans limite...

Il y a bien de nombreuses voix en off qui viennent conter une légende, ou parler d'un amour avorté, d'un voyage, de l'attachement pour ce pays, de l'attachement pour ses parents (bien que certains hommes, rongés par le khat, tombent plus souvent qu'à leur tour dans des crises, souvent violentes) mais c'est surtout par le biais des images que ce doc imprime sa marque dans notre cerveau. On ne tarde pas, au bout d'un quart d'heure, à lâcher prise et à se laisser bercer par ce jeu sur les ombres, sur les voiles, par ces images en clair-obscur dans laquelle notre regard finit par se dissoudre. On tombe littéralement dans ce rythme lancinant et on se laisse peu à peu bercer par ses récits, qui s'interrompent rapidement et qui reprennent huit heures plus tard, ou pas, et par cette atmosphère languide, tranquille que seul le bruit des feuilles de khat qu'on froisse vient perturber... On se perd aussi parfois un peu en route (ce sont deux heures bien nourries...) mais on reste relativement admiratif par ce soin apporté à chaque image pour nous faire progressivement ressentir cette perte progressive de repère dans ce monde réel ou imaginaire (une distribution de feuilles de khat en début de séance ne pourrait totalement nuire à cette expérience cinématographique). Bref, eyes wide shut on prend un certain plaisir à suivre cette première mouture de Jessica Beshir qui possède un évident sens de l'image pour nous faire plus ressentir que comprendre ce "monde" difficilement palpable qui baigne dans le khat. Une somptueuse vision.

Faya Dayi (2021) de Jessica Beshir

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