Très fin, très juste, un doc tout en émotion à fleur de peau, plein de tact et de douceur... J'avoue certes que je voue depuis ma plus tendre enfance une certaine affinité avec la clique Birkin et Gainsbourg père et fille. Autant dire que l'annonce de ce doc me plongea dans une attente fébrile. Une attente franchement récompensée avec cette petite plongée dans l'univers d'une Birkin vieillissante, oui, touchée un brin par l'âge, certes, mais toujours aussi attendrissante, drôle et sincère... Jane, rappelle-toi, toi qui me marchas dessus lors d'un concert à Clermont-Ferrand au XVIIème siècle lorsque tu fis une reprise de "Casablanca", tu as pris en effet une ou deux rides ici ou là mais ta voix, ton esprit, ton accent n'ont en rien changé et on t'aime encore et toujours comme tu es. Charlotte pose sa caméra et laisse parler sa mère en toute intimité, de ses rapports avec le temps, de sa dépression après la mort de Kate, de sa vie avec Barry, Gainsbourg ou Doillon. Pas de propos salaces, pas de révélations fracassantes, juste des mots simples pour revenir sur des périodes de sa vie qui semblent dater parfois d'un autre temps, d'une autre dimension. Charlotte, accompagnée de sa propre fille Jo au détour de quelques séquences, photographie sa mère, partage son lit, l'accompagne dans sa maison de Bretagne et parvient en quelques délicates questions à la faire discourir de son trac, de ses envies, de ses peurs, de son amour des chiens... Le montage, les cadres semblent parfois quelque peu chaotiques, un peu décousus, mais cette voix, ces voix, toujours posées, toujours sereines, nous laissent toujours dans une atmosphère de zénitude totale et on goûte chaque mot, trivial ou pas, avec une grande avidité, content soudainement de partager ces petits moments entre cette mère et sa fille, entre ces deux chanteuses, ces deux actrices qui ont marqué (et qui continuent de marquer d'ailleurs) notre vie. On sourit de plaisir en reprenant le refrain de "Johnny-Jane", on recraque comme un gamin devant les photos de Charlotte ado, avec sa mèche et son air toujours un peu bougon...

Le grand moment de la chose, disons-le, est cette visite dans l'appartement de Serge, un appart qui semble être resté gravé dans le marbre : trente ans plus tard, les mégots de Gitanes sont toujours là dans leur cendar, quelques boîtes de sardines ont fini par exploser (le frigo et ce qu'il renferme est intact !) et cette visite inattendue avec les deux femmes (Jane n'était apparemment jamais revenue là depuis leur séparation) dans ce futur musée est un grand moment suspendu. Cette maison, devant laquelle on est justement passé l'été dernier (ben quoi ?), recèle de multiples souvenirs magiques, de photos, d'objets, de décoration diverses et l'âme de Gainsbourg semble encore véritablement sur les lieux. Grand moment magique pour tout fan de l'homme et l'on rend grâce à Charlotte et à Jane de nous servir de guide avec encore une fois une grande humilité et un respect absolu... Heureusement, on sort de cette maison sombre en respirant un grand coup pour mieux retrouver Jane et sa fille dans de douces lumières bretonnes (on aura aussi voyagé auparavant au Japon et à New York mais c'est bien cette maison du nord de la Bretagne qui semble le mieux servir d'écrin aux discussions entre les deux femmes). On referme la chose avec une grande banane aux coins des lèvres sans avoir appris, certes, de révélations ultimes métaphysiques ou artistiques, mais en ayant le sentiment troublant d'avoir pu toucher du doigt un petit bout de l'intimité de ces deux femmes à coup sûr les plus pudiques du monde. Joie et satisfaction. (Shang - 04/03/22)

Je serai beaucoup plus sévère que mon camarade sur ce film qui m'a pas mal ennuyé, voire même laissé un peu douteux parfois, en tout cas montré combien Charlotte Gainsbourg a bien fait de rester actrice et de ne jamais essayer la réalisation. Tout aussi amoureux que Shang de la dynastie Gainsbourg père, mère et fille, c'est avec confiance que je me lançais dans la chose... pour assez vite déchanter : ce film est sûrement une nécessité pour Charlotte, je ne dis pas ; à quelques années de la mort de sa mère et de la fin d'une époque pour elle, elle a sûrement éprouvé le besoin de filmer Birkin, pour garder une trace, pour pouvoir projeter le film à ses enfants et petits-enfants. Mais je ne vois pas la nécessité de nous le montrer à nous, surtout en ces temps post-covid où les écrans sont saturés. Particulièrement impudique quand elle filme longuement la dame au bord des larmes face à la mort de sa fille, pour le reste anecdotique jusqu'à la platitude, Gainsbourg échoue à faire dire quoi que ce soit à son film : trop court et petit-bras pour donner à voir une époque, trop parcellaire pour nous donner à voir ce qu'est cette grande femme faussement sotte et réellement profonde, Jane par Charlotte se contente de voyager tranquillement à travers le monde en captant ici et là des dialogues assez plats sur le trac, les chiens ou l'amour. Birkin, très bienveillante à l'égard de sa fille, consciente sûrement de la nécessité qu'elle éprouve au projet, se laisse faire, se plie aux petits caprices de réalisatrice de Charlotte, mais on sent bien qu'elle garde sous le pied ce qui fait sa substance, ce qui la définit. On n'en saura pas plus sur elle à la fin, ni sur ce qu'elle a traversé comme époque, ni sur sa musique, ni sur ses films, ni sur ce que c'est qu'être une icône, ni sur la vieillesse, ni sur la recette du soufflé au fromage.

Si le film est habile en choisissant de ne (pratiquement) pas utiliser d'images d'archive, force est de reconnaître que c'est la seule bonne idée du film. Car à part ça, il est rempli de tics inutiles (la projection d'images sur Birkin, le drone pour suivre sa fille, les brusques idées trop classe qui apparaissent très vite complètement hors sujet), de cadres sophistiqués à la con (les plans très "cinéma d'auteur"), de mises en scène appliquées et déjà vues (l'interview dans le lit : Bonnaire a fait la même avec Higelin, et ce n'était certainement pas la première). Bref, notre Charlotte est prise ici en flagrant délit de pose auteuriste, mais comme son flm est très mal pensé, sans scénario, sans ordre, sans projet (ce qu'elle reconnaît dès le départ dans une scène malaisante où elle expose le plan d'ensemble (inexistant) à Birkin), ces agaçantes minauderies de cinéaste fatiguent très vite. On se dit qu'elle aurait mieux fait de réfléchir à ce qu'elle filmait plutôt qu'à l'angle avec lequel le filmer. A l'image des questions qu'elle se pose sur l'ouverture possible de la maison de Serge au public ("J'ai peur que ça fasse voyeur"), son film est un peu gênant pour le spectateur, qui a l'impression de violer une intimité qui n’appartient qu'aux deux femmes, sans en retirer aucune expérience personnelle. Un peu comme si j'organisais une projection de tous les films en super-8 de mon père : vous en auriez rien à foutre. Eh bien j'en ai rien eu à foutre du prénom du chien de Birkin ou de son rapport à ses filles, de son trac ou de ses disputes avec Barry, surtout balancés ainsi sans réflexion. Un ratage, pour moi. (Gols - 17/03/22)

Jane par Charlotte (2022) de Charlotte Gainsbourg

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