Le Salvador, ses plages de sable fin, ses fêtes endiablées, sa foire à la tomate et son climat toujours ensoleillé. Ah, et ses gangs aussi. Dont la fameuse "18", moyenne d'âge 20 ans environ, espérance de vie 21 ans, en guerre à l'heure où débute ce docu contre un autre gang, la "Salvatrucha", ce qui se résume en de bonnes vieilles fusillades expéditives en pleine rue et par des monceaux de cadavres de jeunes gens qui s'amoncellent. On ne sait pas trop ce que ces gangs se reprochent, sûrement rien du tout ; ce qui est sûr, c'est que le résultat de leurs dissensions se répercutent sur la société salvadorienne toute entière : si les politiques sont les grands absents du film, si les flics se contentent de ramasser tristement les macchabées, si l'autorité parentale se résume à un encouragement à la violence, on sent bien la part de faillite totale dans laquelle s'est enfoncé le pays, la spirale instoppable de violence dont il va avoir bien du mal à sortir.

On connaissait la violence de ce pays, la gangrène que constituent ces gangs enfermés dans une loi du talion infinie, ce désespoir dont sont empreints les Salvadoriens face aux morts qui s'accumulent. Poveda, lui, va voir directement sur le terrain, et a su se faire accepter par ces gens incroyables (jusqu'à en mourir, puisque le pauvre bougre a été descendu en 2009). Il en sort un documentaire sidérant, qui va fouiller au plus près de ces jeunes complètement aveuglés par la violence, qui n'entrevoient aucune autre solution que la surenchère pour survivre. Scène récurrente du film : l'enterrement de l'un d'eux, avec ses pleureuses, ses mecs à la gueule serrée, ses prières d'allégeance à la "18", ses codes bien rodés faits de signes de main, de gueules compatissantes et de solidarité. On sent bien que dix minutes plus tard on aura droit à ma même scène, et que ça doit être la même chose dans le gang d'en face. Pourtant, la vie s'écoule dans ces taudis : les gusses racontent en se marrant la fois où ils ont échappé à une fusillade, vont tranquillement écouter le prêche du curé, fument de gros pétards ou soignent leurs blessures béantes : boum, une balle dans l'oeil ("vous pourriez la retirer ? j'en ferai cadeau à ma maman"...), tchac un bide ouvert par un couteau ("ahah, c'est pas passé loin"). La religion, la famille, et surtout l'appartenance indéfectible aux frères, aux clans, sont la raison de vivre de ces pauvres jeunes gens qui n'ont aucune autre façon de vivre, de régir, que par cette brutalité constante ; et pourtant la vie continue. Elle sera brêve et malheureuse, certes, ou elle se terminera au mieux derrière les barreaux, mais elle est là. Plus que jamais, dans la frontalité (le film est éprouvant), dans le regard très humain qu'il pose sur cette faune, en acceptant de partager le quotidien infernal de ces cadavres en puissance, Poveda montre que ces gens sont avant tout des victimes d'un système, mélange d'analphabétisme, de religion mal comprise, de morale simpliste, de misère, et d'indifférence des politiques à leur endroit. Glaçant.

La Vida Loca de Christian Poveda - 2009

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