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20 janvier 2018

L'Extravagant Mr. Deeds (Mr. Deeds Goes to Town) de Frank Capra - 1936

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Toujours un bonheur de revoir ce petit film chaleureux comme tout, qui pourrait bien être le parangon du "feel-good movie". On le sait : Capra est le défenseur des petites gens, empli d'une vision utopique mais attachante d'une Amérique égalitaire, enfin rendue au peuple, sur les traces d'une lecture fantasmée des grands textes de Lincoln, une Amérique du bas, avec ses ouvriers et ses braves habitants solidaires. Le voilà donc réalisant un des films emblématiques du genre : le brave Mr. Deeds est un villageois tranquille, aimé de tous, jouant du tuba dans la fanfare locale, écrivant des poèmes modestes, et ne demandant rien de plus à notre Seigneur ; mais voilà qu'un héritage de 20 millions de dollars lui tombe sur le râble. D'abord amusé, il part à New-York pour apprendre à gérer cette fortune ; mais il va bien vite se rendre compte que qui dit dollars dit profiteurs en tous genres, flatteurs vénaux, et fiancée à la morale douteuse, prête à le dragouiller pour obtenir un scoop dans son journal à scandale. Ah l'argent : cette plaie qui corrompt et qui tue ! Mieux vaut la vie tranquille et humaniste de la campagne florissante, mieux vaut l'entraide avec les paysans, mieux vaut la simplicité toute simple des gens simples.

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Bien sûr, ça pourrait être infâmement poujadiste. On imagine qu'avec un tel scénario, on pourrait réaliser un film qui regarde ces braves Ricains moyens de haut, s'en moquant tout en faisant semblant de les respecter, et utilisant putassièrement une porte ouverte (l'argent, c'est pas bien) à bon compte. Et c'est vrai que ce film, avec un regard d'aujourd'hui, est parfois douteux dans son fond : la réunion de Deeds avec une association de promotion de l'opéra, par exemple, vaut son pesant de philosophie de bistrot (la culture doit rapporter du blé et être faite pour le peuple, oui messieurs-dames), de même que ses visites un peu fatigantes au tombeau de Grant. Mais ce serait anachronique de critiquer le film par ce biais. Ce qui compte, c'est l'immense dose de tendresse que Capra déverse sur la tête de Deeds, cet amour immodéré pour ce qu'il représente : une Amérique des origines, gentille, bienveillante, égalitaire, que la société moderne vient littéralement gâcher. Il trouve en Gary Cooper un comédien idéal, visage rayonnant, capable de vous faire marrer et de vous faire hurler de tristesse en deux secondes (le plus beau plan de Capra : celui sur le visage de son acteur dans la scène où il apprend la trahison de celle qu'il aime), à la fois gamin et adulte, maladroit et suprêmement élégant. L'acteur endosse à lui seul toute cette Amérique modeste, et le film, à partir de la subtilité de son jeu, fait doucement glisser l'histoire de la comédie trépidante au drame. Toute la fin, à partir de la scène où un paysan ruiné vient réclamer des comptes à Deeds, est empreint d'une mélancolie poignante, qui là aussi passe beaucoup dans le visage de l'acteur. Deeds est soupçonné d'être fou, parce qu'il est généreux dans une société qui refuse la générosité : son procès, où il reste mutique est un grand moment de mise en scène, où le spectateur est vraiment révolté par l'injustice. A noter que le gars s'en sort in extremis en sortant quelques bonnes vannes, et non en révolutionnant le monde, Capra n'est pas un grand théoricien politique et c'est tant mieux.

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On se croirait dans un de ces films de Noël où la magie peut advenir, où tout peut se terminer bien pour le personnage utopique. La mise en scène de Capra, d'une élégance parfaite, à la fois discrète quand il faut laisser la place aux acteurs et affirmée quand il faut pimenter le rythme, est une merveille, et toute l'équipe technique (décors, musique, lumières) semble être au diapason pour réaliser le meilleur film du monde. Le terme qui vient tout seul est : beau. Mr. Deeds goes to Town est beau, aussi bien dans sa croyance un peu naïve en la bonté de l'Homme moyen que dans sa splendide réalisation, que soutiennent un scénario attachant et des acteurs au-delà de l'éloge. Dans la dernière bobine, on se prend à se lever de son fauteuil pour applaudir à tout rompre à la victoire du Bien sur le Mal, en ayant cru deux heures en la possibilité d'une société humaine. C'est énorme.

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