Voilà une œuvre pour le moins troublante, intrigante, dérangeante, audacieuse. S'il fallait faire court, il suffirait de dire qu'une nuit de noces, placé sous le titre fallacieux de Jardin des Délices, se transforme en épreuve pour Maurice Ronet, en véritable cauchemar éveillé à l'image de cette séquence récurrente de toilette d'hôtel (lieu d'intimité incontournable) qui fait un bruit diabolique. Ronet vient d'épouser - la mariée était en noir... - la sublimissime Ida Galli. Plutôt que de consommer l'acte, notre homme va n'avoir de cesse d'éviter les contacts physique, se plongeant au cours de cette nuit dans ses souvenirs, souvenirs d'enfance à charge contre l'église ou contre ses parents rigides, souvenirs d'engueulades avec sa douce (qui est enceinte de trois mois) et autre diverses fantasmagories (même la réalité, la liaison avec la femme d'à côté (Léa Massari, voisine de palier tentatrice) n'est peut-être qu'une simple projection de ses envies, de ses rêves). Cette femme, Ida, qui se prépare dans les règles de l’art (…) pour passer une prétendue nuit d'amour "dans le cadre du mariage", Ronet se révèle capable de l'embrasser, de la caresser, que lorsqu'elle semble être endormie, qu'après avoir jeté rageusement sa bague de mariage à terre, ou encore que lorsqu'ils se retrouvent à la terrasse d'un café – là, sa main remonte sur la cuisse de la belle alors même qu'un enfant les regarde... Bref, on l'aura compris, "l'amour" ne devient possible que lorsqu'il semble interdit... Les liens du mariage, fuck it all.

Le rythme est délicieusement lent, les gros plans sur le visage de cette femme, de ces femmes sont à tomber et mêmes si certaines séquences "fantasmées", imaginées nous perdent un peu en route, on n'a de cesse d'y chercher encore et toujours la même obsession : dès lors qu'il est question de religion la frustration est de mise (ces gros porcs de prêtres qui ne se refusent point un petit attouchement ou une baffe sur Ronet en enfant de chœur), l'amour, le véritable, paraît "réalisable" uniquement dans la transgression. Quelques séquences sont proprement hallucinantes : la longue scène, au milieu du film, où l'on voit en parallèles de jeunes communiants en rang d'oignons défilant comme pour une procession mortuaire et des jeunes zazous, en contrebas de la vallée, danser comme des fous sur le son d'une guitare électrique débridée (Morricone se lâche). Pas besoin de schémas, on comprend le message. Tout comme lorsque Léa Massari, femme sur laquelle Ronet reporte toute ses envies, ses désirs, s'empare du corps de la jeune mariée pour l'emporter dans le silence de la mer : chez Agosti le mariage semble rimer avec la mort et il s'attaque au sujet avec une foi sans cesse renouvelée. Cet objet filmique des sixties (qui fut malheureusement censurée d'une bonne vingtaine de minutes...) est donc relativement étrange, « flottante », mais comporte suffisamment de séquences magnifiquement ambivalentes, poétiques, originales pour nous tenir tout du long sous son emprise, pour le meilleur et pour le pire. Une œuvre venue de nulle part comme on les aime.

Le Jardin des Délices (Il Giardino delle Delizie) (1967) de Silvano Agosti

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