Un petit film noir avé l'assent, réalisé relativement au cordeau, c'est pas si mal. Dridi ne cherche pas à faire l'original et déroule sa trame implacable en artisan. La seule spécificité du truc, ce sont les acteurs, amateurs, tous des tronches pas possible, avec le verbe rare et souvent incompréhensible. Le film va chercher une sorte d'authenticité, de véracité dans les caractères, et du coup se charge d'un poids documentaire qui en fait tout le sel. On croit à ces caïds pas commodes, aussi bien dans leurs actes violents (on tire une balle dans le pied, quand c'est pas dans la caboche, du moindre personnage accusé de tromperie) que dans leurs moments de rigolade virile. La camaraderie est toujours teintée de soupçon, le film est très noir et on apprécie cette mise en scène simple et directe, qui sait filmer les hommes tout en inventant une trame retorse inhérente au genre.

Sofiane a réussi à quitter le quartier et ses mauvais garçons. Mais à l'occasion de l'assassinat de son frère, il va peu à peu réinfiltrer la mafia locale pour le venger. Il renoue alors plus ou moins péniblement avec les gars du quartier, armés jusqu'aux dents et guère intellos, manipulant dans l'ombre tout ce petit monde. Le jeu est dangereux, il y aura des morts semés sur son passage, mais son intelligence triomphera des gusses. On sent la finesse des rapports sociaux, notamment vis-à-vis de Sofiane, véritable héros d'un côté, mais considéré comme un étranger de l'autre : les gangsters n'arrêtent pas de le féliciter d'avoir réussi, de lui conseiller de repartir à ses études, mais le gars s'accroche, et sa vengeance sera une vengeance de classe (l'originalité consistant dans le fait qu'il appartient lui-même à cette classe). Le message : on ne sort pas de son quartier, être né quelque part c'est mourir quelque part. Le portrait de la communauté underground des quartiers marseillais est magnifiquement rendu. Malgré ses acteurs inégaux, Dridi nous montre un Marseille très loin des clichés folkloriques, communauté parallèle et qui agit en toute impunité (les flics sont complices, bien sûr), s'assassinant gaiement sous le soleil. On pense beaucoup à Gomorra, à Ken Loach aussi, et le réalisme de la chose est poussé très loin. Mais Dridi n'oublie pas pour autant de construire une trame solide (même si on l'a déjà vue 10 fois), avec coups de théâtre, trahisons et suspense de rigueur. Un film très modeste, fait à la main, mais honnête et filmé à hauteur d'homme. A choufer, donc.

Chouf de Karim Dridi - 2016

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