Juracek adapte Le Voyage de Gulliver dans une Tchécoslovaquie sur les dents et se fera bannir... à vie. C'est dommage, c'était juste son second film, ce sera donc aussi le dernier (une odyssée à faire qui s'annonce moins fatigante cela dit). Il ne fallait pas qu'il fasse le malin et traite avec une telle absurdité son pays... Fallait pas... Pour notre part, ayant une certaine attirance pour les films un rien déjantés, qui sortent simplement de l'ordinaire, on prend un grand plaisir à suivre les périples de notre héros Gulliver (Lubomír Kostelka et sa tête d'ahuri aux yeux éternellement cernés) dans cette terre dévastée qu'est Balnibarbi et dans sa quête du royaume de Laputa (oui, cette îlot suspendu dans l'espace où se trouve le pouvoir. Une métaphore ? Pensez-vous). Tout commence avec une très belle introduction carrollienne puisque à la suite d'un accident de voiture notre héros va tomber sur un lièvre mort habillé et nanti d'une montre à gousset... C'est le début d'un imbroglio sans fin puisque Gulliver devra sans cesse prouver aux gens de Balnibarbi qu'il n'est pas cet Oscar, ce lièvre croisé au début de ses mésaventures... Le reste est pour le moins irracontable : le monde de Balnibarbi et ses obscures coutumes demeureront définitivement opaques pour Gulliver qui ne cessera de croiser et de recroiser les mêmes personnes dans ce labyrinthique pays en ruines. Il retrouvera une brune amour de jeunesse qui ne cessera de lui échapper (un passé perdu ?) et sera continuellement confronter à des personnes dont il ne comprend pas les propos, les propositions, à des situations qui lui échappent et dans lesquelles il se ridiculise le plus souvent... Sa marche en avant (même s'il tourne en rond plus souvent qu'à son tour) continue malgré tout et le mènera finalement à cette tour immense, passage vers le royaume de Laputa... Un monde beaucoup plus riche s'ouvre à lui mais régi par des règles qui lui demeureront tout autant obscurs... Finira-t-il par s'échapper de ce rêve-cauchemar en absurdie, de ce monde swifto-kafkaïen ? Hum hum...

Juracek, dès les premiers instants, parvient à nous décontenancer en partie grâce à ce montage imprévisible, bourrée d'ellipses, et à ces plans qui manient subtilement le champ-contre-champ : notre héros, tout comme le spectateur, perd ses repères et ne sait jamais ce qu'il peut véritablement advenir non pas dans la prochaine scène mais simplement dans le prochain plan - comme si aucune continuité, aucune logique n'était possible... C'est d'ailleurs, si on peut se permettre un légère critique, parfois presque un peu trop déstabilisant, le fil rouge des aventures de notre ami Gulliver dans ce monde étrange se perdant parfois un peu en route... Mais on insiste, tout comme notre héros, pour tenter d'atteindre un semblant de but, ce royaume secret et mystérieux de Laputa... On comprend forcément, dans toutes ses aventures qu'il vit d'un œil éberlué, les quelques petites piques sous-jacentes envers ces règles de vie dictées par ce pouvoir opaque... La meilleur illustration, la plus parlante paradoxalement, étant sans doute cette journée du silence : Gulliver, de retour de Laputa, est confronté à cette journée où personne ne doit parler et où il se retrouve comme mis au ban de la société... Quand les habitants de Balnibarbi comprennent qu'il est revenu de Laputa (ce qui était impossible d'après eux), il ne cesse d'être sollicité comme si les relations avec le pouvoir demeurait la seule chose véritablement importanteà leurs yeux... On pourrait évoquer les chasses à l'homme, les exécutions sommaires, le ridicule de certains responsables, tout dans ce film semblant être le reflet d'un pouvoir abusif qui a fini par vider de leur substance les institutions et la vie même des citoyens. Corrosif, cinglant avec pourtant un petit air montypthonesque et jouissif de ne pas y toucher... Un petit joyau qui se mérite, qui nous perd un peu, mais pour mieux qu'on s'y "retrouve" face à tout abus de pouvoir... Décapitant.

Le Cas de l'Apprenti Bourreau (Prípad pro zacínajícího kata) (1970) de Pavel Jurácek

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