Un film Netflix sur petit écran est non seulement forcément meilleur qu'un film de Lelouch sur grand écran mais il peut aussi se révéler franchement palpitant. Rêve dans le rêve dans le rêve dans le rêve, ce singulier polar singapourien pourrait faire penser (au niveau de l'atmosphère et non du scénario, précisa-t-il) au tout autant singulier Insomniac, les couleurs chaudes, ici, en plus. Un ouvrier étranger a disparu dans cet étrange "no-man's land de terre-pleins" ? Qui franchement pourrait en avoir quelque chose à foutre de ces ouvriers, du Bangladesh, du Pakistan, de la Chine, semblant n'avoir pas plus de valeur qu'un grain de sable - pour ne pas dire moins d'ailleurs... Et pourtant un étrange commissaire se lance sur les traces de ce Wang, un ouvrier aux oubliés absents depuis quelques jours ; bizarre, bizarre, qui pourrait-il sincèrement intéresser dans cette entreprise où l'on broie de l'ouvrier comme des cailloux ?... Ce commissaire ne serait-il pas tout simplement une sorte "d'émanation" de l'esprit de ce Wang, personnage totalement perdu, sans repère sur ces fameuses terres, qui aimerait à penser que l'on se soucierait de lui comme de n'importe quel être humain ? Pour corser l'affaire, le Commissaire est lui-même porté aux songes et parvient au cours de ses rêves à traquer la réalité : il se met donc à imaginer la vie de Wang... Ouh là, vous allez me dire, tout cela a l'air bien complexe, bien plus qu'un Lelouch à la con... Pas de panique, une fois que l'on a décidé de laisser de côté ce "concept" plutôt malin (qui rêve de qui, finalement peu importe), tout devient clair comme de l'eau de roche : ces ouvriers, personne ne s'en soucie vraiment et seul un personnage "inventé" comme ce fameux commissaire pourrait tenter de leur rendre justice, de s'intéresser réellement à leur existence... s’il existait…

Le film se déroule dans une atmosphère délicieusement ouaté, entourant d'un halo de mystère chacun des personnages... Que recherche cette jeune femme qui tient ce cyber café ? Allumeuse ? Allumée ? Bouée? Phare ? Simple femme fatale ou femme virtuelle elle-même perdue en ce territoire ? Où est passé l'ami de Wang, Ajit, ce Paki qui lui tenait lieu d'ami ? Assassiné, évanoui dans la nature, rentré chez lui ? Toutes les pièces du puzzle se mettent peu à peu en place et mettent en relief l'état avancé de perdition de chacun de ses êtres... et surtout de Wang ; ce dernier, de ce que l'on sait, tente tant bien que mal de s'ancrer sur ce territoire : en sortant avec cette chtite du cyber, en se liant avec ce Paki mais apparemment rien n'y fait ; cette terre que l'on va chercher sous terre, cette terre qui vient des pays alentours pour agrandir Singapour, a finalement, dirait-on, plus de consistance, plus de valeur (on y revient), que ces ouvriers venus de nulle part que l'on traite comme des pouilleux, comme des moins que rien... Sur un sujet pour le moins tendu, dramatique, pour ne pas dire tragique (rien de plus facile que de faire disparaître un ouvrier dont on garde soigneusement le passeport pour ne pas qu'il s'enfuit : une petite pelletée de sable et hop, plus besoin de le payer), Siew Hua Yeo (dont c'est seulement le second long-métrage) signe un film à la fois délicieusement poétique (cet air éternellement rêveur de Wang lui-même perdu dans ses rêves), étrangement romantique (cette curieuse histoire d'amour non dite entre Wang et cette jeune fille qui semble sortir tout droit d'un film de Wong Kar-wai s'il existait encore) et totalement fascinant (qu'il s'agisse des rebondissements inattendus de l'enquête ou encore de cette façon de filmer métaphoriquement ce sable à la fois sacré (cette façon qu'ont les tracteurs de le soulever vers le ciel) et à l’aspect funèbre (cette pelletée de terre (photogramme ci-dessus dessus) fait curieusement penser à une tombe que l'on creuse). Une nouvelle œuvre cinématographique de ce territoire imaginaire qu'est l'Asie absolument troublante et dans laquelle on prend un plaisir absolu à se perdre (commence à faire chier Netflix avec leur vista... Il pourrait pas faire tourner Lelouch pour que l'on se marre une dernière fois ? (ok, c'est gratuit et mal advenu))

Les Etendues imaginaires (A Land Imagined) (2019) de Siew Hua Yeo

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