Des petites envies de madeleine proustienne hier soir quand j'ai envoyé ce film : j'avais adoré ce bazar à 13-14 ans, et je voulais juste vérifier si j'avais raison. Bon, ben non, j'avais pas raison. Rien de honteux dans Where Eagles dare, mais disons que ce genre de films d'action a pris un sérieux coup de vieux derrière les oreilles. On apprécie encore pleinement le savoir-faire impeccable à tous les postes : les lumières sont parfaites, aussi bien pour les intérieurs aristos de la gente nazie que pour les extérieurs nocturnes et enneigés ; la musique tonitrue sa mère dès qu'elle en a l'occasion (y compris quand Clint refait son lacet par exemple) ; les figurants sont irréprochables et se rangent bien parallèles dans les scènes d'infâmes escadrons nazis ; il y a pas mal de lignes de dialogues rigolotes ; et l'action est parfaitement lisible. La simplicité et la modestie d'exécution sont de mise, Brian G.Hutton a la délicatesse de ne jamais se mettre devant ses acteurs ou devant ce qu'il y a à filmer : il remplit son cahier des charges avec un sens de l'artisanat qui lui fait honneur. Pour lui, compte peu la gloire ; son film est entièrement au service de ses stars, du scénar et de son public, c'est tout à sa gloire.

Mais il faut bien reconnaître aussi qu'il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent niveau rythme et scènes glamour. Pour le premier, on est ébahi par l'absence totale d'ellipses du bazar. Si un hélico atterrit, par exemple, on nous montre les 48 minutes de manoeuvre nécessaires à la chose, plus les gars qui le regardent faire depuis la terre, plus, les hésitations du pilote, plus le cv complet de sa femme et de ses frères et soeurs. Renny Harlin t'aurait bouclé ça en 2 plans de 0,002 secondes avant de passer à autre chose ; Hutton, lui, adopte un rythme à la Inspecteur Derrick qui plombe sévèrement l'ambiance. Le film dure 2h30, mais sincèrement il aurait pu être bouclé en deux fois moins avec un dynamisme un peu plus marqué. Quand les scènes d'action pure arrivent, on respire un peu, parce que c'est vrai qu'elles sont filmées sans hystérie, tranquillement, avec le souci constant de les rendre logiques. Téléphériques qui explosent, exécutions d'infâmes nazis au silencieux, escalades de rochers abrupts, fusillades dans les couloirs étroits du nid d'aigle, explosions de ponts, retournages et triples saltos de jeeps, quand ça fuse ça fuse. Dommage qu'il faille attendre que les personnages aient fini leur fromage pour en arriver à ces scènes. Quant au glamour, il aurait pu y en avoir beaucoup plus, puisque l'affiche aligne quand même Eastwood et Burton côte à côte. Mais les pauvres bougres n'ont franchement rien à jouer. A part accrocher de la dynamite sous les ponts et traverser le château des infâmes nazis en serrant les dents, on ne leur donne aucun rôle à défendre, aucune psychologie ou complexité à endosser, si bien qu'on se demande s'il était bien nécessaire de faire venir ces deux monstres pour jouer aussi peu. On a fait venir des grands cuisiniers pour servir un kebab, genre. Du coup, Burton affiche un visage inexpressif pendant 2h30, et Clint fronce ses sourcils à qui mieux mieux dans le vide. Ce ne sont pas les 10000 rebondissements de la trame ("ahahh tu croyais que j'étais un agent double ? Mais non, en fait, je suis un agent triple engagé par un agent quadruple pour faire croire à un comédien que l'agent quintuple était le beau-frère de l'espionne qui s'est faite passer pour une espionne nazie, en fait !") qui relancent l'intérêt : on aurait préféré des personnages plutôt qu'une histoire à tiroirs un peu vaine. Voilà : pas désagréable, hein, non non, mais pas plus primordial qu'une bonne partie de Counter Strike.

Quand les Aigles attaquent (Where Eagles dare) de Brian G. Hutton - 1968

Partager cet article