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8 juin 2014

3x3D de Peter Greenaway, Edgar Pêra & Jean-Luc Godard - 2014

"Nul mieux que Godard" avait jadis appelé son livre Alain Bergala ; on ne saurait que confirmer à la vue de ces trois courts-métrages, et on serait même tenté de changer la formule en "nul à part Godard". Issus d'une commande de la ville de Guimarães à l'occasion de son sacre en tant que "ville de la culture", ces films tentent de rendre justice à la riche histoire du lieu ou à l'histoire du cinéma portugais, et l'échec étant flagrant, finissent par s'incliner devant le génie de JLG qui détourne la commande (comme d'hab) pour livrer un court hanté, prophétique et magnifique.

3x3D-trois-fois-rien-illus1

Just in Time de Peter Greenaway a au moins le mérite de nous faire savoir que Peter Greenaway est toujours vivant et qu'il fait toujours du cinéma. C'est beaucoup dire, pourtant : son clip, visuellement bluffant, est un long plan-séquence dans l'espace et dans le temps, qui s'aventure en travelling avant dans les méandres de la cathédrale millénaire et dans celles de l'histoire du pays. Par de savantes superpositions d'images magnifiées par la 3D, il nous invite à passer par-delà les ans et les murs pour fabriquer un magma visuel riche comme une patisserie à la crême anglaise. Les yeux en ont pour leur argent, le cerveau beaucoup moins : on dirait une pub financée par l'Office du Tourisme local pour promouvoir son patrimoine. Figés, les acteurs ne sont là que comme ombres, tout étant misé sur la technique 3D. La caméra sinue entre tableaux clicheteux et placards de textes, c'est nul, pompier et glacé.

I-go-to-the-Cinema

Le pire est atteint pourtant avec l'hystérique Cinesapiens d'Edgar Pêra, pour le coup aussi fatigant pour les yeux que consternant pour l'esprit. Le gars se pique de nous fabriquer une petite histoire du cinéma en 30 minutes, histoire placée sous l'idée que le cinéma est l'art de "l'étonnement" : depuis les hommes préhistoriques et leurs fantasmes platoniciens jusqu'à la 3D, donc, en passant par les différentes innovations techniques qui ont surrenchéri dans la surprise du spectateur, on traverse à toute vitesse et dans les grimaces tout ce pan d'histoire de la technicité cinématographique. La très mauvaise idée est d'avoir placé tout ça dans une salle de ciné, justement, dont le public nous fait face, un commentateur burtonien racontant tout ça à toute vitesse et en abusant des bras tendus vers nous (faut rentabiliser les effets de relief) : c'est hyper moche, ça file la migraine tant c'est rapide et techniquement raté, et on ne comprend rien à ce qu'on peut vouloir nous raconter tant tout ça est maquillé sous des couches de clowneries épileptiques très éprouvantes. Berk.

3x3D3-Les-Trois-Desastres

Enfin, hosannah, voici Les trois Désastres de Godard, alors qu'on croyait tout perdu. 15 mn de JLG au taquet, qui pratique son habituel collage entre images vidéo colorées, archives de ses films préférés, écritures en incrustation, dialogues, musiques diverses et voix off sépulcrale. Il s'agit une nouvelle fois de pointer la fuite du temps et la mort de toutes choses (Guimarães ? ah non, connais pas), et le discours, pris au milieu du magma impressionnant du film, se perd parfois. On ne sait si JLG, en la pratiquant, veut critiquer l'avènement de la 3D, ou s'il s'en félicite. En tout cas, il catalogue trois désastres : le nazisme, la fin d'un âge d'or cinématographique et euh... je ne sais pas. Pour ce faire, il multiplie les effets de collage, une grande partie de ses extraits de films mettant en valeur la complexité du regard (The Lady from Shanghai et ses miroirs, par exemple, mais Welles et ses profondeurs de champ sont souvent cités), la place extérieure ou intérieure du spectateur dans l'écran, l'éternité de ce que c'est que le relief à l'écran, présent dès les films muets. Pour le gars, la 3D ne sert pas que pour les films gore et le porno : elle peut doper les impressions, faire rentrer le champ et le contre-champ dans le même plan, faire se répondre deux extraits de films dans le même cadre et par-dessus les années. L'utilisation de la 3D est remarquable, les photogrammes venant se superposer dans des correspondances ravageuses (Chaplin/Hitler) : la fameuse technique de JLG s'approfondit avec l'utilisation du relief, qu'il prolonge d'ailleurs en jouant très puissamment avec le son (qui circule dans la salle avec des effets incroyables). Un grand barnum de formes et de sons au service d'une seule minuscule chose : le viellissement de tout, et ce petit cri de détresse qui pointe derrière : retrouver l'enfant qu'on était, espoir qui ne sera résolu que dans la mort.

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Car Les trois Désastres est aussi et avant tout un autoportrait en homme seul et vieux : de nombreux extraits proviennent de films de Godard lui-même, et pas forcément les plus vus (Une Bonne à tout faire, Film SocialismeFrance Tour Détour Deux enfants, For ever Mozart, ...), tendance récente du compère (cf Khan Khanne) qui tend à l'inclure dans cette disparition d'un certain cinéma. Depuis quelques temps, JLG semble faire un bilan, revoir ses vieux films, effacer ce qui doit l'être et remettre en valeur les oubliés. Ce court est un merveilleux exemple de ça : au milieu du chaos, il y a l'homme Godard, avec ses bouts de films, son chien, sa nature (le plus beau plan : un paysage vu par une fenêtre dans un coin d'écran, puis la lumière qui passe sous la porte, magnifiée par le relief et la musique), ses bouquins, et les préparatifs de sa mort. C'est grand, tout simplement, et, pour ces quelques minutes-là, la vision des deux pensums de ses collègues doit s'endurer vaillamment.

God-Art, le culte : clique

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