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1 juin 2019

LIVRE : Gros-Câlin d'Emile Ajar (alias Romain Gary) - 1974

9782070445622,0-1295183Hosannah, hosannah, Gary sort en Pleiade, événement qui justifie la relecture de ce premier roman signé Ajar, que j'avais lu dans ma prime jeunese avec un peu de perplexité. Mais, nonobstant l'événement, je dois dire ma perplexité nouvelle devant la chose. C'est tout à l'honneur de Gary que de tenter de nouvelles choses, d'essayer de trouver un nouveau style qui rompe avec le sien, mais son Gros-Câlin est souvent plus proche d'un Boris Vian raté que de la bombe littéraire voulue. Le livre a l'air de recenser tout ce qui est pénible dans Gary, en expulsant ce qui est génial : dans un style de petit malin, qui se prend vraiment pour un génie pour le coup, il raconte un petit bout de l'histoire de Pierre Cousin, petit bureaucrate banal qui a eu la drôle d'idée de ramener de ses voyages un python de plus de deux mètres qu'il élève dans son appartement parisien. Fable drolatique sur le besoin d'amour et de reconnaissance, le roman se veut impertinent, original, unique même dans sa langue ; en effet, Cousin pratique un langage assez aberrant, plein de barbarismes, de raccourcis, de "ponts", d'images, de phrases toutes faites tordues jusqu'au non-sens, qui fabrique peu à peu une autre langue, naïve et dynamique. Si elle est souvent brillante, elle éloigne aussi Cousin de ses contemporains, et notament de la jeune employée de bureau qu'il convoite et dont il est persuadée d'avoir tapé dans l'oeil. Peu à peu, la présence du serpent devient troublante, les personnalités de l'homme et du reptile s'échangent, et Cousin sombre dans la folie. On suit donc les amusantes mais effrayantes divagations sémantiques et grammaticales de notre bon personnage, on note les toujours agréables remarques de Gary sur les animaux, son sens du rythme et de l'expérimentation, sa prise de risque et son insolence. Quand il est au taquet, Gary parvient avec brio à inventer un nouveau style, à cheval sur son temps et sur un langage légèrement futuriste, impur, bordélique en diable. L'histoire est originale, parfois émouvante (le chapitre sur sa "fiancée" qu'il attend avec un bouquet de violettes à la main), souvent drôle. De ce côté-là, rien à dire.

Mais à côté de ça, on remarque aussi que le livre, à force de circonlocutions un rien apprêtées, devient de plus en plus illisible, se contentant la plupart du temps de ses acrobaties formelles sans qu'elles ne fassent sens. Le plus gênant est que, quand Gary a trouvé une bonne formule, il la répète à l'envi. Ajoutez à ça des remarques un peu racistes (bon, admettons, c'est l'époque), un humour lourdaud (le compère aime décidément beaucoup parler de pipi, de caca, d'orifices divers et variés), et une propension adolescente à tirer la langue, voire montrer son cul, à tous bouts de champs, et vous aurez une idée de ce que cette lecture a de pénible parfois. C'était le premier roman signé Ajar, et on dirait un premier livre ; normal que les critiques s'y soient trompés. Pour nous, qui sommes au jus, il y a quelque chose de laborieux à suivre ce délire pas très fin effectué par le plus brillant des auteurs de l'époque. Alors, oui, on est parfois amusé, parfois impressionné par l'aisance totale, parfois bluffé par la fulgurance de telle ou telle maxime, mais aussi un peu perplexe devant ce fatras assez désordonné de mots qui sembelnt se chercher ou tourner en boucle. Un mauvais Gary : ça lui est arrivé souvent, mais il sait être tellement bon parfois qu'on ne peut que lui pardonner.

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