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14 avril 2022

LIVRE : Clair de Femme de Romain Gary - 1977

9782070373673,0-664626Je me suis toujours méfié des romans de fin de carrière signés Gary. Clair de Femme vient malheureusement confirmer cette opinion. Gary, en pleine période de doutes et de flou artistique (c'est de cette époque que date aussi les mauvais Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable et Charge d'âme) est pris ici en pleine exercice vaniteux et geignard ; j'aime beaucoup quand il est cynique et mordant, moins quand il use d'un romantisme suranné, teinté de machisme à peine caché, et qu'il passe son temps à compenser sa sale dépression par une suite de formules de malin souvent très creuses et cristallines dans leur exécution. Je suis dur, je sais, qui aime bien châtie bien. Franchement, Clair de femme est une succession de magnifiques trouvailles et de moments agaçants en diable, les seconds prenant souvent trop de place par rapport aux premiers. Le projet est pourtant viable : abandonnée par sa femme, qui va mourir et veut le faire seule, un homme erre pendant 24 heures dans les petits coins mal famés de Paris, traînant sa sale tristesse dans les cabarets torves et les hôtels miteux, plutôt que de s'échapper à Caracas comme il le voudrait. Il rencontre en particulier un dresseur d'animaux et surtout Lydia, une femme qui a perdu sa fille dans un accident de voiture dû à son mari. Ces deux-là vont jouer le jeu de l'amour le temps d'une nuit, espérer et renoncer tour à tour, et surtout beaucoup parler, pour combler la folie qui les guette et la solitude qui les gagne.

Romantisme sombre et jeux avec la mort et le désir, affrontement avec la démence de l'existence (symbolisée magnifiquement par le numéro de cabaret montrant un chimpanzé et un chien dansant ensemble le paso-doble), bribes d'espoir : Gary ne va pas bien en ce milieu des années 70, son style se fait poisseux et désespéré, et ce malheur éclabousse ses romans, qui deviennent désabusés et ricanants. Malheureusement, dans le cas qui nous occupe, ce blues se transforme en une écriture un peu supérieure, très fabriquée, suite de bons mots qui finit par fatiguer le lecteur. Chaque phrase semble écrite pour être gravée dans la marbre, ou au moins pour être soulignée en rouge, ou au moins pour être mise en italique, exemple même du génie auto-proclamé de l'auteur. Or, Gary tombe souvent dans la belle phrase pour la belle phrase (""Ils peuvent toujours essayer, ceux qui se comptent par millions : seul un couple peut le réussir. On ne peut compter par millions que jusqu'à deux." : ça ne veut rien dire, mais c'est classe), et ses belles formules qu'il nous sert comme d'autres servent les balles liftées montrent beaucoup trop leur ficelles : on voit la construction de ces sentences trop savantes et mordantes pour être sincères ; il suffit de surprendre, de manier la négation et le hiatus en escrimeur, de prendre toujours le contrepied de ce qu'on attend. Ça ne marche pas toujours, mais la plupart du temps ça éblouit, et tant pis si ça n'est qu'une fusée d'artifice. C'est dommage, parce que, de temps en temps, quand il se préoccupe vraiment de ce qu'il écrit, il peut être génial : "Et je ne vous dis pas que l'on ne peut pas vivre sans amour : on peut, et c'est même ce qu'il y a de si dégueulasse." ou "On peut penser ce qu'on veut des Oresties et de la tragédie grecque, mais pour moi, ce qu'il y a de plus significatif, c'est que les représentations se déroulaient à ciel ouvert, pour que quelqu'un, là-haut, puisse s'esclaffer." Ces phrases sentent le vrai malheur, l'honnêteté qui font défaut au livre. Ne soyons pas trop durs : Clair de Femme est parfois fulgurant, mais surtout pour le portrait qu'il donne de son auteur ou pour la beauté violente de certaines images (le numéro de dressage, ce mec qui a perdu l'usage de la parole face à sa culpabilité, le côté "russe" de cette virée nocturne). Sinon, le livre est démodé, trop écrit, et plus qu'énervant.

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