LIVRE : Le Voyage du Canapé-Lit de Pierre Jourde - 2019
Ah parfois quand écrire devient une profession, ça fait mal. A la recherche probablement de fonds, Jourde, écrivain admirable la plupart du temps, nous pond aujourd'hui ce triste bouquin, qui semble à lui seul réunir tout ce qu'il fustigeât jadis en La Littérature sans estomac. Le sujet, vertigineux si vous voulez mon avis : le gars doit ramener en camion un canapé-lit de Paris au fin fond de l'Auvergne, accompagné de son frère et de sa belle-soeur. La petite route de campagne (que mon gars Shang reconnaîtra, je pense, avec des larmes de nostalgie) est l'occasion de se replonger dans les souvenirs familiaux et les savoureuses anecdotes de voyage. Et c'est un festival : chiasse, envie de pisser, jets de gerbe, c'est un délice d'élégance. Le pipi-caca-prout semble en effet bien être le projet d'ensemble. Oui, car Jourde est un intellectuel, mais qui sait quand il le faut se dévergonder en parlant des choses triviales de l'existence ; il le dit tellement souvent qu'on finit par être convaincu du contraire : ces histoires fatigantes ressemblent à un exemple d'in-sincérité, et le gars est pris en flagrant délit de populisme facile. Non pas que j'estime que la merde et la pisse soient des sujets à exclure de la littérature, hein, j'aime trop Bukowski et Martinet ; simplement je trouve qu'il faut les manier avec subtilité, ou au moins avec nécessité. Là, le gars envoie dans tous les sens comme pour implorer qu'on oublie son prix de l'Académie Française (dont il se moque assez bêtement d'ailleurs dans un chapitre un peu malaisant), comme pour jouer le rôle du punk de service, comme pour dévergonder un peu la Littérature Française. Je préfère quand il parle de son fils ou de la ruralité.
Dans un habile récit qui entremêle passé et présent (ne lui enlevons pas ça, tout de même), voici donc une suite de cocasses aventures dans tous les coins du monde : comment j'ai perdu mon meilleur ami en kayak, mais en fait non c'était rien de grave ; comment j'ai eu envie de pisser pendant toute une cérémonie de récompenses, et ensuite c'est bon j'ai pissé ; comment j'ai eu envie de chier pendant un voyage en bus, et pis finalement j'ai pu chier ; ce genre de bombes narratives. Pour un ennemi juré de l'auto-fiction, on peu trouver à redire : on est là dans le degré zéro de l'anecdote, et on passe de plus cette soirée-diapo en compagnie d'un petit malin. Car Jourde inclut dans son bouquin la propre critique de son bouquin, désamorçant ainsi sans vergogne toute forme de mise en défaut : oui, je fais de l'auto-fiction, oui je fais du scato, oui mon humour est facile, mais je vous ferai remarquer que je fais ce que je veux et que vous n'avez qu'à fermer le livre. On lui ferait remarquer, nous, qu'il n'avait qu'à pas l'écrire, ça aurait été un meilleur début. Jourde sème dans son texte quelques grands noms oubliés de l'histoire (surtout ces Auvergnats importants mais jamais célébrés), joue à l'érudit pour mieux ensuite nous remettre le nez dans ses petites histoires de collégien ; parfois, à de rares endroits, parce qu'il sait faire monter un suspense ou que sa langue est pétillante, on ouvre les yeux, on a espoir que le livre devienne autre chose que ça. Mais on retombe très vite dans cette construction qui lasse au bout de 10 pages (des mises en abîme à foison), par cette fausse préciosité du langage (le subjonctif est de règle), et par cet humour assez consternant (relayé par l'éditeur qui affiche fièrement un "Ça déménage" sur son bandeau, pour une histoire de déménagement, vous saisissez ? le nec plus ultra du rire en cascade chez Gallimard, l'hilarité ultime, la poilade totale). Je pensais pas écrire un jour ça de Pierre Jourde, un des seuls auteurs contemporains qui, pour l'instant, ne m'ait jamais déçu : il a fait cette fois une bouse. (Gols 22/01/19)
Comment ça une bouse, un livre qui consacre tout un chapitre à Moulins, un livre à la gloire de la RN7, une œuvre qui évoque l'autoroute (déserte) des arbres (fatigués) ? Etant un novice en Jourdie, je m'attendais il est vrai, suivant once again les conseils de Gols, à quelque chose d'un peu plus pointu, d'un peu plus singulier. Force est de reconnaître ici que le gars écrit un peu au fil des kilomètres et de sa plume bien légère (certaines phrases (les dialogues notamment), sonnent aussi creuses que celles que j'écrivais dans une autre vie (ratée) de pseudo écrivain (raté)). C'est dire. Non pas que le projet de Jourde ne titille pas en soi deux-trois choses dont on se sent proche : on peut aisément se reconnaître dans ces portraits un peu merdiques de famille provinciale, dans ces petites anecdotes foireuses de vacances pathétiques - non, il n'y a pas à dire, cela crée du lien et on lit la chose d’autant plus aisément. Mais cela ne va pas plus loin et j'opine devant les multiples défauts soulignés soigneusement par Gols... On se tape grave de ses embrouilles à la con avec Angot, ses petits bashings de Chevillard, Djian et j'en passe, tombent à plat (qu'il leur écrive un mail, plutôt, cela ne nous regarde pas) et on se dit que le gars, derrière son petit air qui se veut extérieur à tout cela (le landerneau de la littérature française), cache une réelle frustration d'auteur - l'épisode à l'Académie française étant en effet le summum de la boboïtude pseudo punk. Un livre aux allures d'historiette familière qui se consomme et s'oublie aussi vite que les saillies à table du tonton Paulo quand on jouait lors de soirée de lose au tarot. Voyage au bout de l'ennui auvergnat. (Shang 27/01/19)