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Shangols
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12 avril 2019

LIVRE : Le Jourde & Naulleau de Pierre Jourde et Eric Naulleau - 2004 puis 2015

9782757856444,0-3579807Le commentaire récent de Pierre Jourde sur ce blog ayant démontré toute la sportivité du gars, j'ai voulu lire cette mouture 2015 du fameux Jourde & Naulleau, dont la première version était sortie en 2004. Ce livre condense à peu près tout ce que tout bon auteur de blog ou de critique littéraire peut entendre à longueur de journée : de quel droit critiquez-vous ? D'où parlez-vous ? Sauriez-vous en faire autant ? Pourquoi passer son temps à descendre des bouquins plutôt que de le passer à les défendre ? Etes-vous conscients de la mauvaise foi de ce que vous écrivez ? Pourquoi êtes-vous si méchant ? Trop de lectures n'ont-elles pas tué votre amour pour la lecture ?, etc., le tout à l'envi. Si toutes ces questions sont intéressantes en elles-mêmes, et si toutes peuvent être posées à nos deux auteurs, Jourde et Naulleau donc, on ne peut s'empêcher de jubiler en constatant le camouflet tonitruant qu'ils leur opposent. Ce livre se présente comme le volume manquant de Lagarde et Michard, celui consacré au XXIème siècle : les deux éminents professeurs ont su donner ses lettres de noblesse à la littérature passée, mais quid de la récente ? Voilà nos deux esthètes analysant les oeuvres de Christine Angot, Philippe Sollers, Marc Levy, Alexandre Jardin ou Marie Darrieussecq, avec le sérieux qui caractérisait les ouvrages scolaires de notre enfance : présentation de l'auteur (jusqu'à sa mort, le livre étant rédigé en 2104), commentaire composé des meilleurs passages, puis séries d'exercices proposés à l'édification du lecteur. Tout ce que la littérature française a de plus pourri y passe, depuis les clichés d'Olivier Adam jusqu'au nombrilisme de Angot, depuis l'absconcerie de Sollers jusqu'aux naïvetés d'Anna Gavalda, depuis les aberrations de Marc Levy jusqu'à la fatuité de BHL, depuis les inepties de Patrick Besson jusqu'aux délires psys de Camille Laurens.

Le jeu de massacre se fait dans une joie communicative, d'autant que Jourde et Naulleau sont dôtés d'une solide mauvaise foi qui pourrait faire passer celle de Shangols pour de l'honnêteté. On rigole comme un bossu devant ce faux enthousiasme déployé devant ces "grands" de la littérature, cette admiration forcée montrée devant leurs paragraphes boursouflés, leurs successions de clichés, leurs maladresses flagrantes, leurs crâneries, leurs totales méconnaissances du rythme, leurs à-peu-près stylistiques, leurs "faux raccords" dommageables. Car, onctueux jusqu'au bout, les deux gangsters font montre d'une objectivité teintée de respect pour tous ces auteurs, et ce n'est qu'au 2ème degré (si ce n'est plus) qu'on devine le rire de fourbe qui les secoue. Un peu comme Eric Chevillard avait su si bien le faire dans L'Oeuvre posthume de Thomas Pillaster, Jourde et Naulleau écrivent un livre d'amour envers des auteurs qu'ils méprisent dans le fond souverainement. Et ils ont bien raison de le faire. Si on peut regretter dans la liste de leurs victimes l'absence de quelques auteurs vraiment reconnus, qui nous surprendraient (on rêve de voir y figurer Guyotat ou Carrère), bref si la tendance est un peu de tirer sur les ambulances (à l'instar de Christophe Conte, à qui ils reprochent justement de ne s'intéresser qu'à des victimes déjà à terre, dans le texte le plus douteux du livre), on ne peut qu'applaudir à deux mains devant ce rappel salutaire : oui, Angot, Jardin ou Levy écrivent comme des patates, preuve à l'appui. Et il semble que ce livre soit une véritable entreprise de déconstruction des succès littéraires, une juste vengeance envers les imposteurs, et finalement, en inversé, une véritable déclaration d'amour à la vraie littérature, celle entre autres qui sait manier le double sens, l'ironie. Preuve de l'utilité de ce livre de haine, preuve de l'utilité aussi d'une critique négative, ironique, subjective, méchante, ne serait-ce que pour déboulonner un tout petit peu les statues du Commandeur habituelles. Que ceux qui hurlent au scandale devant ce livre uniquement écrit sous le signe du mépris relisent Madeleine Chapsal ou Philippe Labro, et laissent aux autres le plaisir de cette langue vénéneuse qui fait bien plaisir.

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