Le Mangeur de Citrouille (The Pumpkin Eater) (1964) de Jack Clayton
Clayton, Pinter, Oswald Morris, Delerue, Bancroft, Finch, Mason, du beau monde pour un film sur une femme, sur le couple qui touche forcément l'âme - pour peu qu'on mette la main dessus (l'âme, pas le film - quoique). Difficile, dans la première demi-heure, de ne pas penser (sur le fond) à A Woman under Influence du gars Cassavetes (toujours point chroniqué ici, shame on us...) avec cette femme si vivante, si pleine de joie, espiègle, avec sa tribu d'enfant et cette soudaine dépression qui lui tombe sur la tête. Anne Bancroft et sa pléiade de gamins (on pense aussi forcément au film suivant de Clayton, Our Mother's House) est heureuse et semble se faire une joie de partir pour un troisième mariage... avec sans doute des enfants à la clé. Ses enfants, sa maison, son mari, son univers : son bonheur puis le fil va casser...
Peut-elle aimer un homme, faire l’amour, sans avoir envie de "concevoir" (c'est le psy qui lui demande de cogiter sur la chose...). Peut-il, de son côté, rester fidèle à cette femme, toute entière dévouée à son foyer ? Les hauts et les bas d'un couple : les sacrifices (elle), la jalousie (elle), les coups de blues (elle), son hypocrisie (lui), ses fuites (lui), ses mensonges (lui), leur amour (eux)... Le film multiplie les épisodes, les séquences de bonheur, de bruit et de fureur avec cette ribambelle de gamins qui donnent vie à la baraque, d'amour et d'intimité entre Bancroft et Finch très complices, les séquences de vague à l'âme (la solitude de Bancroft sur la musique nostalgique, tristounette, délicate de Delerue qui fonctionne comme toujours à merveille ; les enterrements des parents et ces habits noirs qui semblent teinter l'âme), les séquences de colère, de violence, de déchirements et les éternelles réconciliations... La caméra de Morris, disons-le franchement, réussit tout ce qu'elle veut : capable de faire immédiatement le point sur des passants qui passent plus ou moins loin de la caméra (c'est techniquement bluffant et significatif dans cette scène où tout le monde mate une Bancroft qui craque en plein magasin), capable de prendre de la hauteur pour rendre compte d'un "tableau familial" (l'arrivée des deux grands garçons chez leur grand-mère), capable de jouer sur la profondeur de champ (la "fin de fête" avec ces deux couples où flotte un parfum d'échangisme - mais la Bancroft prend du recul), capable de faire des gros plans audacieux (le visage perdu de Bancroft, la bouche carnassière de Manson), capable de capter des bribes d'images à la volée (la dispute violente entre Bancroft et Finch, sur la fin)... Bref, un modèle de fluidité qui montre que le Clayton a toujours la main pour "mettre en images" son propos après son chef-d’œuvre, The Innocents (qu'il est bon de rappeler à la moindre occasion).
Le film peut paraître parfois un peu dépressif tant les vagues à l'âme de Bancroft sont douloureux (son horrible opération...), tant cette dernière, privée de son mari, de ses enfants, tombe dans une léthargie qui la laisse exsangue, comme mort-vivante. Heureusement, le film parvient toujours à rebondir, à retrouver ses petits instants de douce folie quand la maisonnée s'emplit, de doux érotisme quand la bouche de Bancroft se penche sur le torse de Finch (on dirait du Musso, c'est ça l'inspiration, mes enfants...). Au final un film techniquement magique et un magnifique portrait de femme qui mériterait d'être plus connu - faut reconnaître que le titre n'est pas "porteur", certes... Les quatre premiers longs de Clayton frôlent le sans faute, puis vint Gatsby, le soporifique... Bah, nobody's perfect, à chacun ses pépins ! A savourer, for sure.