Chaque Soir à neuf Heures (Our Mother's House) (1967) de Jack Clayton
Il y a toujours quelque chose à craindre quand les enfants restent en bande : Sa Majesté des Mouches (Peter Brooke), Les Révoltés de l'an 2000 (Narciso Ibáñez Serrador), Le Village des Damnés (Wolf Rilla), L'Ecole des Fans (Jacques Martin)... Chaque Soir à neuf Heures fait également craindre le pire lorsque, suite à des circonstances particulières (une mère malade qui élève ses 7 enfants dans une grande demeure : elle meurt et les enfants, craignant l'orphelinat, décident de l'enterrer dans le jardin), la petite bande se retrouve livrée à elle-même. Elle est dans un premier temps très pragmatique (les habitudes ne changent pas, ils continuent d'aller à l'école ; elle s'organise pour faire les courses (le gamin anglais aime les pois et les oeufs, c'est pas compliqué) et surtout pour retirer le chèque mensuel ; elle met à la porte la bonne à tout faire...) mais les premières "dérives" apparaissent : lorsque l'une des gamines sympathise avec une simple motard qui lui propose de faire un petit tour, les gamins se réunissent, l'un d'eux joue au médium paranormal avec la mère et la sanction tombe ; la gamine doit sacrifier sa chevelure... La chtite tombe malade dans la foulée mais pas question de faire venir un docteur dans la demeure, quitte à ce qu'elle reste sur le carreau... On présage le pire.
On présage le pire et on se fourre le doigt dans l'oeil. C'est l'une des accointances de leur mère (Dirk Bogarde tout jeunot pour ceux qui l'ont toujours connu vieux) - il est considéré au départ comme le géniteur des enfants - (des détails seront donnés ultérieurement...) qui, en débarquant dans la baraque, va commencer par menacer l'équilibre (sur le plan financier notamment) de la maisonnée. S'il met la plupart des gamins en joie - seule une fille reste à l'écart -(jeux dans le jardin, virée en bagnole...), notre homme part également facilement en vrille (il picole, parie sur les chevaux, invite des pouffes à la maison pour faire tirlipinpon...). Il tente de mettre tout le monde dans sa poche mais ses dépenses inconsidérées ne vont pas longtemps passer inaperçues... Il n'a pas l'air surtout de se rendre compte qu'il joue à un petit jeu dangereux avec les gamins : ceux-ci pourraient bien finir par se rebeller surtout s'il commence de s'attaquer à "l'image" (dans tous les sens du terme) de leur mère...
Le premier élément à noter c'est que si la plupart des films anglais sont mauvais (les Clayton, Dearden et autres Powell/Pressburger sont hors-concours, of course...), la plupart des acteurs anglais sont bons... J'exagère sans doute dans les deux sens mais force est de reconnaître que les gamins sont particulièrement au taquet dans cette oeuvre où ils jouent... un rôle essentiel. La seconde chose qui s'impose comme une évidence... c'est la musique de Georges Delerue (qui a eu d'ailleurs une longue collaboration avec Clayton) ; dès la première note (on ne peut tromper un fan de Truffaut, croix de bois, croix de fer), on se dit ah, tiens, Georges ! Il compose comme d'hab une musique toute en délicatesse, en douceur, en espièglerie (...) qui convient parfaitement pour venir accompagner le monde de l'enfance (je pourrais développer mes arguments musicaux mais il se fait tard là...). La troisième chose c'est que Clayton est quand même sacrément doué (on parle et on reparle des Innocents, ce n'est pas un hasard) au niveau de la mise en scène, de la direction d'acteurs and so on (je vais d'ailleurs m'attaquer au reste de sa filmo, clair... 8 films, c'est jouable). Sans qu'il n'y ait beaucoup de rebondissement dans la première partie du film (entre la mort de la mère et l'arrivée du "père"), il arrive à nous tenir en haleine en nous décrivant simplement, par petites touches, l'organisation de ce petit monde d'enfants avec sa cohésion (face à l'extérieur), son empathie (ils vont accueillir temporairement un autre enfant...), ses rites (le "temple" dédiée à la mère, une mère avec laquelle ils semblent toujours connectées...)
Ensuite le film (et la caméra) s'emballe avec l'arrivée de Dirk : on assiste à quelques éclairs de folie douce (le rire et la joie des enfants) mais on a également l'impression qu'une certaine "noirceur" plane sur le film ; celui-ci d'ailleurs s'enfonce de plus en plus dans la pénombre jusqu'à cette terrible scène autour du feu de cheminée avec un Dirk dont le visage illuminé pour ne pas dire "enflammé" a quelque chose de diabolique... Faut pas trop jouer avec le feu, ni avec les enfants... Un véritable voyage au bout de la nuit enfantine... Un film surprenant aussi bien au niveau du scénar que dans la forme (on pourrait s'amuser à commenter des séquences entières : la lecture du testament avec ce plan qui commence sur les petites jambes des bambins, qui remonte au niveau de la table (parfaite transition "matérielle" entre l'âge de l'innocence et celui des responsabilités) et qui s'arrête sur les visages sérieux et concentrés de notre assemblée, une attitude qui n'a rien d'enfantin) ; il y a aussi ce plan magnifique, en contre-plongée, sur le lit désert de la mère : un des plus jeunes gamins, qui ne sait pas qu'elle a été enterrée pendant la nuit, monte par habitude sur le lit pour discuter avec sa mère - son ombre se projette sur l'endroit où se tenait généralement sa mère, une mère qui semble l'observer, impuissante, de l'endroit où se trouve la caméra : je ne sais si je me fais bien comprendre mais la scène provoque une forte émotion avec un dispositif d'une grande "simplicité"...), une bien belle mécanique claytonesque en quelque sorte. A découvrir, pour sûr.