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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
17 février 2014

Le Rapport Darty de Jean-Luc Godard - 1989

Ah je vous confirme que voilà là de la pure rareté comme on l'aime, et d'ailleurs la copie que j'ai pu en récupérer semble avoir été mâchonnée puis recrachée. Tant pis : c'est un tel bonheur d'arriver à dénicher ce genre de machins qu'on veut bien supporter toutes les copies de copies de copies de VHS possibles.

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Lettre d'un client à une entreprise : c'est ce que voudrait bien obtenir Darty, l'enseigne étant visiblement désireuse de s'offrir une longue publicité vantant les mérites de ses services. Mais ces cons, ils ont fait appel, pour le rôle du client à JLG, "vieux robot de la première fondation qui traînait dans un coin", c'est chercher le bâton pour se faire battre. Toujours aussi impertinent, l'helvète va mettre son point d'honneur à ruiner le projet, et va réussir un vrai massacre en dûe forme. On ne s'attend pas forcément à trouver une promotion pour les laves-linge placée sous l'égide de Gauguin, Karl Marx, Léo Ferré ; c'est pourtant ce à quoi on assiste dès les premières secondes (juste après ce plan déjà voué à la censure "dartyenne" d'une enfant handicapée mentale coiffée d'un casque stéréo dans les allées du magasin). Le film va être placée sous l'égide du mot "rapport", et particulièrement le rapport entre l'art et l'entreprise, et celui entre les êtres. Dans un très savant et chaotique montage dont le gars a depuis toujours le secret, dans un choc d'images, de sons et de mots, les univers se rencontrent façon dichotomie, l'art noble se juxtaposant aux chemisettes bariolées des vendeurs, la critique sociale aux palabres commerciales, les discussions entre vendeurs et clients avec les voix de Miéville et Godard qui en décryptent les arcanes. C'est un joyeux foutoir de sens, et on est la plupart du temps perdu devant ce magma. Mais quand ça fonctionne, quand, par hasard dirait-on, l'image devient juste, on applaudit devant  les insolences du gaillard, qui ne se gène jamais pour critiquer son commanditaire et retourner tranquillement à ses oeuvres d'art et à sa solitude. L'humour, omniprésent même s'il est ravageur et cynique, fait le reste : on est baba.

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L'équilibre magique entre pure cérébralité, farce de gosse et émotion simple est trouvé, comme souvent dans ces années d'élaboration d'Histoire(s) du Cinéma. Parfois c'est juste une musique inspirée sur des images étrangement mélancoliques (ces clients qui errent dans les rayons, et leurs gestes magnifiquement ralentis pour en faire un système de codes), et l'émotion est là ; parfois ce sont de grandes plages théoriques qui convoquent Villon ou Marx, et on est fasciné par l'absence complète de concessions du maître, qui sait pertinemment que jamais ce genre de scènes ne sera accepté par le commanditaire ; parfois c'est du gag pur (le bégaiement de Godard, le dialogue qui dérape, quelques mises en parallèle d'images), et on se rend compte que tout ça n'est pas vraiment sérieux. Et puis toujours cette poésie, cette façon mi-fascinée mi-extérieure de regarder le monde, à la fois tendre et amère (tout Godard de cette époque semble concentré dans ce court plan sur une enfant interviewée qui rêve de consommation de masse), ces lumières étranges striées de mots insaisissables, cette façon de vous enfermer dans un univers unique et fascinant. En tout cas, c'est toujours agressif, toujours incisif, toujours radical : comme dans King Lear, comme dans Plus Oh !, comme dans Six Fois deux, JLG introduit dans le film-même la conviction que le film ne passera jamais et sera refusé : il ne se gène pas pour filmer ici la lettre des dirigeants de Darty interrompant le projet. Le film se conclut de manière extraordinaire par deux plans juxtaposés : un camion Darty qui s'en va au lointain, et Chaplin et Paulette Goddard qui semblent la suivre : comme un pont invisible tendu entre la trivialité du commerce et la poésie, entre les capitalistes et les démunis, entre Darty et Godard. JLG, faussement candide, se demande bien pourquoi Darty refuse son film : pour lui, ce n'est que la réponse du client à l'entreprise, le miroir sans retouches de sa posture face aux dirigeants de ce monde. Comme il le dit, le film, de toute façon, restera et sera transmis à ses enfants. Dont acte : 25 ans plus tard, il est là, frondeur et debout, prêt à être transmis. Voilà ce que c'est qu'un rebelle, messieurs-dames.

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God-Art, le culte : clique

Commentaires
J
bonjour messieurs, dites, comment s'inscrire sur ce fameux "KG" ?
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R
J'ai pu voir un bout de ce court métrage (raté le début) lors d'une rétrospective récente de godard. Dans la foulée on avait d'ailleurs eu droit à une projection d'Une bonne à tout faire, dans la veine sublime de Passion. <br /> <br /> Bien vu pour la remarque sur la transmission, il semblerait que Godard ait commencé à diffuser ces raretés, il ne reste plus qu'à espérer de les trouver bientot en meilleure qualité.
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B
Il est bien sur KG! Et merci pour cette superbe critique ;)
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G
Ah mais fouillez mieux, basilebaba, fouillez mieux. Et puis, c'est le plaisir de la recherche intensive, non ? Allez, si vous insistez, je vous balance tout.
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B
Quel miracle! Il n'est pas sur karagarga mais alors comment l'avez vous déniché?!
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