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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
6 avril 2009

Le Silence de Lorna de Luc et Jean-Pierre Dardenne - 2008

18958282_w434_h_q80Forcément, comme les Dardenne Brothers nous envoient avec régularité chef-d'oeuvre sur chef-d'oeuvre, on est très exigents à chaque nouveau film. C'est peut-être trop d'attente qui me fait penser que Le Silence de Lorna est un poil en-dessous de leur génie habituel : c'est de toute façon un immense film, et je me serais prosterné devant lui si je n'avais pas vu les autres films des gars. Mais voilà : on compare, on se souvient des skuds qu'ont été Rosetta, L'Enfant, Le Fils, etc., et le film perd au change.

Pour cette fois, les Dardenne laissent un peu leur âpreté de côté, et livrent un film moins radical, moins bouleversant dans la forme. Certes, on reconnaît bien leur mise en scène exaltée et brutale. Comme toujours, la caméra reste collée aux basques de leur nouvelle héroïne (Lorna, immigrée albanaise prise dans un complexe écheveau de mariages blancs) :silence_lorna elle est de chaque plan, et le cadreur cavale derrière elle pour la montrer dans tous ses états, de la pieta dents serrées qui encaisse les coups du destin à la femme amoureuse. Comme toujours, la réalisation est nerveuse, précise, sportive. Mais, est-ce la faute de l'actrice, un peu moins profonde qu'à l'ordinaire, est-ce la faute d'un vieillissement ou d'un ras-le-bol des deux frères, il manque là-dedans l'urgence et le mystère. L'urgence, parce que les rythmes de mise en scène sont curieusement affadis, presques sages ; le mystère, parce que, à l'exception d'une sublimissime ellipse à mi-parcours, le film est trop explicite, trop signifiant, trop net. On est très loin de cette heure quasi-complète qui ouvrait Le Fils, et qui se permettait de ne rien dire des motivations de son personnage. Ici, on nous explique tous les soucis de Lorna, plusieurs fois, sans secret, sans effort exigé de la part du spectateur. Finalement, c'est con à dire, mais Le Silence de Lorna est presque trop simple, trop accessible.

silence_lorna_haut

Ceci dit, c'est encore une fois ravageur dans le scénario. La somme de malheurs qui s'abat sur cette pauvre jeune fille fait vraiment de la peine, et les Dardenne manient le suspense et les rebondissements avec génie. Des dialogues formidables, qui s'appuient sur le quotidien le plus basique pour mieux rendre attachants les 18940931_w434_h_q80personnages, une écriture rapide (aucun de ces longs plans-séquence qu'on attend toujours chez les Dardenne), et une façon de plonger l'ordinaire dans la tragédie, c'est parfait. Jusqu'aux très belles scènes finales où Lorna devient subitement d'une humanité puissante alors qu'on ne s'y attend plus. Il y a également toujours ces petites scènes a priori anodines et qui dévoilent des tas de choses : ici, ce sont des dizaines de plans sur des mains qui échangent de l'argent (comme chez Bresson, notre référence actuelle), qui en refusent, qui en offrent, qui en prennent, qui en comptent, dévoilant sans vergogne la thématique principale du film : le monnayage des corps et des coeurs. Lorna apparaît alors comme une victime sacrifiée sur l'autel de la marchandisation, comme le symbole d'une "Europe-bis" où les sentiments sont devenus des choses à acheter. Pour son scénario, Le Silence de Lorna est un grand Dardenne ; pour sa réalisation, une parenthèse un poil assagie.  (Gols 29/08/08)


Je comprends le soupçon de pointe de déception de mon ami, tant les Dardenne alignent les grands films avec une "facilité" déconcertante. De même ce fait, souligné, d'être un poil trop démonstratif, tant Le Fils laissait planer le spectateur dans une expectative de bon aloi. Néanmoins, il y a quand même d'excellentes choses dans ce Silence de Lorna. Sans paraphraser les frères Dardenne qui reviennent lors de l'interview, dans le DVD, sur certaines analogies entre les scènes et sur certains fils conducteurs ou choix de mise en scène (c'est le risque de les écouter parler et ensuite de tenter d'avoir une vision un tant soit peu personnelle), il y a deux pistes, notamment, traitées de façon assez géniale dans cette oeuvre. L'ami Gols évoquait L'Argent de Bresson - parallèle qui semble s'imposer dès le premier plan - et j'ai beaucoup aimé pour ma part non seulement la séquence où ils décident de partager les frais de la porte - qui confirme la naissance de leur complicité - mais aussi la scène où Lorna décide lornad'enterrer l'enveloppe de Claudy dans la terre, comme un symbole de ce qui commence à tarauder sa mauvaise conscience.  En ce qui concerne l'autre piste, appelons-la la dimension proprement "humaniste" du film, on pourrait évoquer cette séquence magistrale où Lorna se met littéralement à nu devant Claudy pour lui amener une véritable chaleur humaine - l'ayant considéré auparavant plutôt comme un chien (la scène, métaphoriquement un peu appuyée, où elle lui donne de l'eau dans un bol qu'elle pose directement à terre), on perçoit ainsi parfaitement l'évolution de ce personnage qui commence à prendre conscience du bourbier sans fin (dominé par l'argent et le profit immédiat comme dirait Noir Désir) dans lequel elle s'est laissée entraîner. Ce besoin justement d'humanité, d'un monde plus humain pour Lorna, va prendre "corps" lorsqu'elle commencera à affabuler sur sa prétendue grossesse; cette échappée belle dans les bois sur la fin, digne de Thoreau  - histoire de montrer que j'ai lu des livres aussi - est absolument magnifique et l'idée des frères Dardenne d'ajouter ces quelques notes de piano de Beethoven sur la toute fin et pendant le générique, pour que le spectateur reste encore quelques instants avec cette héroïne "dans le noir de la salle", est absolument fantastique. Un dernier mot sur le travail encore et toujours extraordinaire sur la lumière - notamment les scènes d'intérieur - qui permet de mettre constamment en valeur ces "simples" individus. C'est encore et toujours du grand Art, même si on finirait presque par s'y habituer, de façon un peu blasée, chez les deux frères Belges, toujours aussi rigoureux dans la mise en scène et le déroulement du fil narratif - rah, cette ellipse au milieu, quelle belle idée tout de même...  (Shang 06/04/09)

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