LIVRE : Proust, Roman familial de Laure Murat - 2023

Alors même que je suis toujours au milieu de La Recherche et ce depuis quelques mois (je vais me faire Sodome et Gomorrhe, pas qu'en rêve (...), il me tend les bras dans ma chambre - c'est une question de jours), ce fut un réel plaisir (et un booster ?) de lire cet essai de Murat qui sait jongler aussi brillamment avec Proust qu'avec ses antécédents familiaux. Murat, descendante aristocratique de renom (...) du côté de sa mère comme de son père, se fait un malin plaisir à jouer avec les étiquettes et en particulier la sienne ; ce monde, aristocratique, elle n'hésite pas à tirer dessus à boulet rouge, critiquant au passage aussi bien sa culture du vide (dans cette mise en scène constante en société) que son manque d'épanchement sentimental (sa mère en fait les frais) ; Murat, qui revendique son lesbianisme, son féminisme, ses passions littéraires (elle enseigne Proust aux États-Unis), a eu tôt fait de rompre avec les siens pour mener sa barque et partir à La Recherche de sa propre vie, laissant les cuillers en argent dans leur tiroir... Proust, dit-elle, l'a sauvé et on veut bien la croire tant, en se penchant avec passion et rigueur sur le sujet, elle va démontrer les pouvoirs, la magie, la portée du sieur. Elle va bien sûr s'appuyer sur de multiples citations proustiennes (issues de ses romans comme dans sa correspondance) pour évoquer des thématiques diverses et variées : la critique de la classe aristocratique (loin de certains clichés pour le moins stupides qui voudraient que Proust soit le chantre de cette classe sociale - certains lecteurs s'étant sûrement arrêté à la page 10 de ces quelques tomes : les divers personnages issus de cette classe sociale finissant par avoir une valeur et une saveur de plus en plus dépréciées aux yeux du narrateur), la mise en scène (subtile) de l'homosexualité (il faut bien sûr savoir lire entre les lignes mais le sujet est bel et bien présent voire centrale...), l'idée de snobisme, la difficulté de cette classe à compatir envers son prochain, etc... Murat convoque aussi bien sa lecture érudite de Proust et ses recherches personnelles (aller jusque dans les archives de la police pour trouver des infos vintage, ça c'est de l'investigation de fond !), que sa lecture pointilleuse de spécialistes de l'auteur ; elle parle également avec une grande sincérité de sa propre expérience personnelle au cœur même de ce milieu d'origine privilégié. Loin de chercher à se mettre en avant, au contraire, elle trouve toujours un angle d'attaque, un biais intéressant pour tenter de faire des parallèles entre son ressenti, ses manques, ses doux souvenirs (plutôt avec son père ou dans ce château familial...) et la vision très juste de Proust sur ce petit monde d'aristos en bout de piste... C'est une véritable réussite de lier avec autant d'à-propos et de pertinence sa propre vie intime avec cette lecture finalement très... intime de Proust - Murat n'étant, en plus, pas la dernière pour tisser des phrases de la plus belle eau. Un essai de toute beauté. Allez, allez, une ou deux petites broutilles et je me remets à l’œuvre.

Comments

[siegfriedbdx]

Cette ballade érudite dans l'oeuvre de Proust , écrite avec une très belle plume et beaucoup d'esprit , est un de mes coups de coeur de cette année!

Merci à Gols (ou Shang) pour cette belle critique!