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15 février 2024

LIVRE : Le Hors-sujet : Proust et la Digression de Pierre Bayard - 1996

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Véritable petit plaisir littéraire que de prolonger la lecture de Proust avec cet essai du gars Bayard : notre ami, partant du principe qu'A la Recherche du Temps perdu serait trop long, décourageant ainsi les éventuels lecteurs (qui se lancent souvent dans la "re-lecture" de l'ouvrage sans même l'avoir lu une fois), part à la chasse de la digression dans cette œuvre - passages susceptibles d'être superfétatoires, et donc d'être éventuellement supprimés en vue d'une version plus courte. Sans que l'on tombe dans l'excès à l'image d'un Genette (notre référence absolue !) qui résumait d'une formule lapidaire ces sept tomes ("Marcel devient écrivain"), serait-il possible sans que l'on touche de trop près à l'intégrité de ce monument de la littérature française de le réduire quelque peu ? Cela sent la provocation, cela fleure l'attaque en règle envers tous les défenseurs de la chose littéraire, envers ces chevaliers de l'intégralité, ces pontes du respect de l'auteur - mais Bayard s'attaque à son sujet avec un sérieux papal, bien décidé à en découdre. Et brisons tout de suite le suspense, c'est brillant. S'appuyant sur toutes sortes de théories littéraires, de concepts permettant de faire le tour du sujet digressif (la notion de lien, de fonction, de ressemblance, de contiguïté... : c'est un festival de définitions ultra-précises qui pourraient faire justement rougir un Genette - Figure III, notre bible !!! ah, je l'ai déjà dit peut-être...), Bayard s'attaque au texte proustien les deux bras en avant. Tout y passe, des plus flagrants "décrochages" (d'"Un Amour de Swann", l’œuvre dans l’œuvre, au long épisode passé par le narrateur à Doncières auprès de Saint-Loup) aux plus petites apartés, Bayard étudie chaque passage susceptible d'être éventuellement rogné. C'est délicieusement érudit, précis, logique, et l'on se pâme devant cette étude qui loin de chercher à détruire l’œuvre par un certain surplus de littérarité et de science analytique ne permet que de se replonger corps et âme dans les moindres petits détails de cet ouvrage qui nous restait d'autant plus fraîchement en tête... Bien sûr, plus Bayard s'escrime à noter les passages "hors-sujet" plus ces derniers semblent être irremplaçables et notre essayiste de pousser le vice jusqu'à renverser les rôles (et si l'ensemble d'A la Recherche n'était finalement qu'une digression d'"Un Amour de Swann"), voire à évoquer (véritable scandale en soi à la réflexion) tous les passages que l'on aurait pu s'attendre à trouver dans l'ouvrage et qui en sont absents. On se régale de certaines idées (Swann, ne serait-il pas le véritable père du narrateur ? ; quant à ces phrases si longues, n'auraient-elles point pour but de volontairement noyer le sujet, comme une sorte de mise en abyme stylistique de l'ensemble de l’œuvre ?) et on referme cette petite exégèse bouillonnantes de pensées avec un petit rictus de satisfaction. Beau travail d'un chevalier en totale allégeance au modèle.

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