Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
27 avril 2024

LIVRE : Lettres à la N.R.F. - Choix 1931-1961 de Louis Ferdinand Céline - 1991

"Le récit commence Place Clichy, au début de la guerre, et finit quinze ans plus tard à la fête de Clichy. 700 pages de voyages à travers le monde, les hommes et la nuit, et l'amour, l'amour surtout que je traque, abîme, et qui ressort de là, pénible, dégonflé, vaincu... Du crime, du délire, du dostoïevskysme, il y a de tout dans mon machin, pour s'instruire et pour s'amuser."

 

Quel beau résumé très concis du Voyage au Bout de la Nuit où on retrouve, en quelques mots délicatement choisis et avec ce phrasé et cette hargne inimitables tout Céline... Des lettres, donc, dans lesquelles on ne peut que reconnaître ce style hallucinant aussi flamboyant que noir mais où l'on voit aussi un homme terriblement aigri, chiant comme la pluie auprès de son éditeur, d'une mauvaise foi absolue (à côté, avec Gols on est définitivement des petits joueurs - on se voit ce week-end, comme une fois tous les dix ans, je prévois deux morts), et affreusement radoteur... Que ce soit ce pauvre Jean Paulhan (avec lequel il finit par se brouiller) ou Gaston Gallimard himself (un rock, inamovible, stoïque), il leur répète trois mille fois les mêmes choses (la parution de ses livres en poche, et surtout... dans la fameuse collection de la Pléiade, des avances, des augmentations...) jusqu'à la lie... Seul Roger Nimier se montrera apte jusqu'au bout à raisonner l'homme et à répondre un tant soit peu à ses demandes... Jusqu'au bout, on ne peut pas lui enlever, Céline se montre en colère, déçu, combattif, chieur, agressif, frustré. Le problème majeur, en quelque sorte, c'est que, s'il n'a rien perdu de sa verve littéraire, ses livres se vendent moins... Il est le premier à vouloir minimiser la publicité autour de ses livres pour ne pas avoir de problème avec le gouvernement et la justice, et le premier à ne pas comprendre qu'on n'essaie pas de faire... plus de battage autour de ses publications... Dieu sait que Paulhan et Gallimard prennent leur responsabilité en essayant de défendre Céline dans cet après-guerre qui ne lui est guère favorable... Au delà de tout intérêt personnel, ils font tout pour que l'écrivain continue d'être lu. Mais Céline n'est pas du genre à éprouver une quelconque empathie à leur égard (même s'il dédicace l'une de ses œuvres à Gaston Gallimard... cet hommage sera vite suivi de multiples noms d'oiseau à son encontre...). Céline, un homme en colère, putain, à vie.

 

A part ces petites querelles de clocher en rapport avec  le monde de l'édition, on peut tout de même parfois, ici ou là, rire des analyses fines que Céline fait de la littérature. Qui d'autre que lui à aussi bien parlé de Proust, et surtout en des termes aussi élogieux ! :  "Oh Proust, s'il n'avait pas été juif, personne n'en parlerait plus ! et enculé ! et hanté d'enculerie. Il n'écrit pas en français mais en franco yiddish tarabiscoté en dehors de toute tradition française. Il faut revenir aux mérovingiens pour trouver un galimatias aussi dégoûtant." Hein ? Oui, bon, ce n'est pas un bon exemple... Il n'a souvent que peu d'égard envers ses pairs contemporains... et les autres. En règle générale, d'ailleurs, on sent qu'il a toujours une petite dent envers les Juifs, les homos, les Gaullistes, les hommes, l'humanité, le cosmos, les trous noirs... Oui. Rares sont les remerciements et les louanges sous sa plume... Mais au niveau du sens de la formule, on se régale plus souvent qu'à son tour : "Ils vont enculer la mouche au vol pour me trouver criminel de je ne sais quel crime... mais ils vont y parvenir !" Enculer une mouche, c'est déjà ardu et pervers... mais en plein vol, avouons que c'est encore plus subtil... Bref. Des lettres qui dévoilent tout le caractère hargneux de cet écrivain aussi génial que (méchamment) provocateur, aussi inventif que mesquin.

Commentaires
O
Proust avait répondu d'avance, et avec la manière... <br /> "Plus que tout j'écarterais ces paroles que les lèvres plutôt que l'esprit choisissent, ces paroles pleines d'humour, comme on en dit dans la conversation, et qu'après une longue conversation avec les autres on continue de s'adresser facticement à soi-même et qui nous remplissent l'esprit de mensonges, ces paroles toutes physiques qu'accompagne chez l' écrivain qui s'abaisse à les transcrire, le petit sourire, la petite grimace qui altère à tout moment, par exemple, la phrase parlée d'un Sainte-Beuve, tandis que les vrais livres doivent être les enfants non du grand jour et de la causerie mais de l'obscurité et du silence."
Répondre
Derniers commentaires