Black Swan (2011) de Darren Aronofsky
J’avais conseillé à Darren Aronofsky après son sympa The Wrestler, de revenir à des films à petits budgets. Vous pensez qu’il en a pris note ? Que dalle, le bougre, et le voilà de retour avec un thriller ballerino-erotico-lesbo-schizo vraiment dur à avaler. Il passe donc du catch au ballet : sa caméra a malgré tout une fâcheuse tendance à se croire encore sur le ring et donnerait le vertige à ce pauvre Lelouch qui commence cela dit, c’est vrai, à se faire vieux. Tournicoti-tournicoton, rien ne nous est épargné pour mettre le spectateur dans les ballerines d’une Natalie Portman qui, reconnaissons-le, se donne franchement à fond… Après, le problème, c’est qu’il y a en dehors de ces interminables portions de danse, une intrigue : la petite Natalie veut vraiment être crédible, pour ne pas dire "parfaite", dans ce rôle de cygne blanc (pur) puis noir (moins pur) (je vous fais fi des nuances, on est aux Etats-Unis) ; problème number one : elle semble pas vraiment super équilibrée dans sa tête et se gratouille les omoplates sans même s’en rendre compte ; problème number two : elle a une mère super protectrice qui commence à lui courir sur le haricot ; problème number three : son prof de ballet, c’est Vincent Cassel (ne me demandez pas comment il se retrouve là, c’est un mystère) et il est super méchant et dominateur avec elle (« Ton devoir pour ce soir, c’est de te masturber » (sic), Patrick Dupont tombe en syncope) ; problème number four : elle fait des jalouses, mettant au rancart une ancienne étoile (Winona Ryder, mon Dieu, je pensais qu’elle était déjà à la retraite) et s’attirant de sales regards noirs des ptites ratines aspirantes étoiles. Ca fait beaucoup de problèmes pour une chtite gate toute frêle et menue, on est d’accord, et même si elle fait preuve d’adversité, on sent bien qu’elle risque, à trop faire le forcing, par se tordre elle-même le cou… Aronofsky est donc tout terrain quand il s’agit de faire le malin (une pointe de gore, un poil de perversité avec le Cassel, un tantinet de cul (oui, « poil» ici aurait fait vulgaire) avec deux petites ballerines qui se roulent des pelles…), mais il y a tout du long comme un terrible air de déjà vu (vous pouvez piocher dans les thrillers ricains de ces dix dernières années, au hasard…), sauf que là on y croit pas une seconde... Tout paraît volontairement « gonflé » et exagéré – les cours donnés par Cassel, la main entre les cuisses de Natalie, ciel… moins léger qu’une plume… - et le film apparaît juste, au final, comme une immense production tape-à-l’œil et creuse… la performance de Portman devrait lui valoir l’Oscar (c’est tout dire), pour le reste, du balai… (Shang - 06/01/11)
Je suis bien d'accord avec mon camarade, même si je trouve qu'il a eu la main un peu lourde sur le coup. Certes le film est naze pour ce qui est du scénario et du fond en général. Mais je trouve que la mise en scène a du charme, tout de même, et la comparaison avec Lelouch me semble un peu tirée par les cheveux. La caméra qui virevolte, chez Lelouch, c'est nul (le vertige de l'amûûûr représenté puérilement par des tournicotis) ; ici, il me semble qu'elle se justifie. C'est la seule qualité que j'ai trouvée à ce film : la mise en scène des ballets est sensible, intéressante. Il y a par exemple ce très beau passage qui capte donc Portman sur scène, les mouvements très liés de sa danse, de son rapport avec le partenaire masculin, de ce qu'est cet équilibre fragile et en même temps "musclé" de la danse : on se lâche, on passe par des mains qui nous portent, nous déposent, tout ça en un seul mouvement de corps ; plan-séquence très élégant qui se poursuit dans les coulisses, toujours en plan serré sur Portman, avec cette symphonie de souffles, de cris proches du ronronnement, de râles d'animaux qui semblent sortir d'elle, avec cette peau qui frissonne (à la fois sous l'effet de sa métamorphose en cygne et sous celui de la danse) ; la caméra tourne autour d'elle, cadrant chaque grain de peau pour en montrer l'extase, l'énergie ; puis fin du plan avec le retour sur scène, vraiment superbement cadré (le regard à la fois effrayé et orgasmique de Portman, qui se pose sur le public, les souffles capté au plus près)... C'est un passage parfait, finalement assez proche de ce que Scorsese avait obtenu pour la boxe dans Raging Bull : un immense spectacle réduit à quelques regards, à quelques frissons, à une émotion humaine. En règle générale, les scènes de danse sont vraiment belles dans The black Swan, même si c'est une danse poussiéreuse et antique (les Américains ont quand même du mal avec la danse aujourd'hui, si l'on s'en réfère à ce film-là ou au nullard The Company d'Altman). Côté mise en scène, donc, satisfait (j'en excepte cette idée nazouille de tout filmer à travers des miroirs, idée qui alourdit toute la lecture du film par sa lourdeur symbolique).
Alors, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : pour tout le reste, je rejoins mon compère Shang. Effrayant de constater la vision de l'art chez Aronofsky : pour Portman, arriver à trouver son "cygne noir", c'est en passer par la baise à tout va, les pilules d'ecsta et la guerre ouverte contre sa mère ; là aussi, vision antique de la construction d'un personnage, qui prouve que le cinéaste n'a pas bougé depuis l'Actor's Studio et ses douteuses méthodes psychologiques (pour interpréter une femme violée, il faut avoir été violée, genre). Ce freudisme à deux balles gâche toute la trame, et enferme les personnages dans un schéma simpliste. Bien dommage, car Portman est vraiment bien dans le désarroi, la peur, la fascination que le chorégraphe exerce sur elle ; et Cassel, qui se bonifie avec l'âge, crée un personnage intéressant, dont l'altérité n'est pas dûe qu'à son accent et son jeu très français. Deux acteurs impliqués, mais pris dans une bouillie psychologico-fantastico-érotique qui se vautre dans le flou artistique et le mauvais goût. Rien n'est mené au bout, ni les scènes de sexe, frileuses et beaucoup trop "hétéro" pour fonctionner (deux femmes qui font l'amour, oui, mais à condition qu'elles soient belles, diable), ni les scènes fantastiques, qui s'arrêtent dès que la peur ou le dégoût pourraient déborder le cadre du cinéma commercial, ni les rapports psychologiques entre les personnages, schématiques et idiots. Aronofsky devrait peut-être aller faire un tour dans un cours de danse ou de théâtre, il y découvrirait que ces rapports faustiens sont bien dépassés aujourd'hui. Et puis, tant qu'il y est, un petit stage d'écriture... (Gols - 21/03/11)