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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
28 mai 2008

L'armée des Ombres (1969) de Jean-Pierre Melville

armyofshadowspic_1_Quel sens de la sobriété et de l'efficacité, qui pourrait rappeler un autre Jean-Pierre dans un autre domaine. Chez Melville, pas la peine de grands discours : des actes, des consciences au service d'un seul but, sans fanfaronnades, sans arrière-penseés, avec pragmatie et détermination.

Ventura incarne parfaitement le héros melvillien, une lourde carcasse quasi-muette qui suit son petit bonhomme de chemin. S'engager dans la Résistance signifie pour lui obéir aux ordres d'en haut quoiqu'il en coûte: qu'il faille étrangler à la main un mouchard ou descendre celle qui lui a sauvé la vie pour ne pas risquer le démantèlement du réseau, il est toujours là pour assumer.

On retrouve le grand style  bien particulier du Melville: tous les décors ont des teintes quasi identiques à celles du Samouraï -en légèrement plus bleutées (ces grands pans de murs platrés grisâtres, ce papier-peint anonyme), cette passion pour les "machines" - qui annonce Un Flic avec cette longue séquence du train et de l'hélico - au service ici de l'action (magnifique apparition nocturne de ce sous-marin qui permet de faire116700951_d6f08228d7_o_1_ transiter les résistants en Angleterre, plans tendus comme un élastique dans l'avion avant que le Ventura effectue son premier saut en parachute), un choix des cadres qui fait frémir tout aspirant cinéaste, un jeu d'acteurs tout en légère nuance (grand Paul Meurisse, éblouissante Simone Signoret qui a l'air d'être toujours filmée tranquille dans sa cuisine, rah la Simone, ça c'était aut'chose quand même), les seuls grandes émotions passant dans des regards subitement filmés en gros plan... Un petit mot également en passant sur la musique qui n'est autre que celle des Dossiers de l'Ecran qui me faisait mouiller ma culotte tous les mardis soirs chez ma grand-mère quand j'étais petit : "TalinTATIN.... zzziziiizziiiziziizi... TATIN" (bon faut le voir en live...) qui accompagne cette scène culminante où Ventura et quelques autres prisonniers sont amenés au peloton d'exécution ; j'en ai encore froid dans le dos... il y a d'ailleurs auparavant un paquet de cigarettes qui circule entre tous les futurs exécutés, créant à la fois une solidarité et une véritable chaîne humaine contre l'occupant, alors que le capo Nazi ne va être prêt, lui, qu'à sauver la vie à une personne (le premier qui touche le mur du fond de la piarmy_1_èce, alors qu'ils sont sous les balles, aura un report d'exécution), fracassant cyniquement cette fraternité... L'échappée belle de Ventura à la fin est un moment extrêmement fort, le spectateur ne parvenant pas plus que lui à comprendre ce qui arrive.

D'autres idées magnifiques parsèment ce film: l'ambiance cosmoplite du premier camp où il est interné; le tictac d'une horloge qui rajoute un suspense insoutenable la première fois que Ventura est conduit dans les bureaux de la Gestapo ; le compagnon d'armes qui s'auto-dénonce à la Gestapo pour pouvoir sauver l'un de ses amis arrêtés et qui, suite à un concours de circonstance d'une ironie terrible, se retrouve tout seul sans que personne puisse même savoir ce qu'il est advenu : la Résistance, ce n'est pas seulement des actes glorieux que tout le monde peut voir et saluer, c'est surtout un sens de la discrétion et du sacrifice poussé à son extrême. C'est en cela que le film de Melville est un joyau, peut-être le plus grand sur cette période trouble de l'histoire de France (tata TATIN.......ziziziziiziizii.... arggh)   (Shang - 15/12/06)


18473867Tout à fait d'accord avec mon camarade mélomane : voilà un film très puissant, qui allie une maîtrise formelle impressionnante à un aspect documentaire au taquet. Le seul reproche qu'on pourrait faire au demeurant à L'Armée des Ombres tient peut-être dans son scénario, un peu dépassé, voire un peu conservateur. Les hommes de la résistance sont revêtus d'un costume d'héroïsme un poil trop appuyé, frôlant même parfois la mystique pure. On sent Melville totalement fasciné par cette dévotion gaulliste, par cette admiration (justifiée, je dis pas le contraire) envers ces Résistants, et du coup pas toujours à la bonne distance de son sujet. Il y aurait peut-être pu y avoir plus de subtilité à trouver dans les oppossitions entre occupants et Résistants ; tel quel, on a un peu l'impression que ça se résume à "Les Allemands tuent par sadisme ; les Français par obligation", et c'est assez faux, ce me semble. Melville dirige nos pensées et notre regard dans la seule direction qu'il estime 18823295_w434_h_q80bonne, et nous empêche un peu de penser par nous-mêmes. Et puis il faut dire que le film a encore largement un pied dans une conception assez passéiste et unilatérale de ecs années sombres, au point de vue du fond en tout cas. Comme s'il faisait la charnière entre l'hagiographie de Paris brûle-t-il et la remise en question de Le Chagrin et la Pitié. L'Armée des Ombres appartient au passé, définitivement, ne boudant pas un certain académisme de pensée qui fait sourire en 1969 (année où son cher de Gaulle n'était pas vraiment en odeur de sainteté). Mais comment reprocher ça à un homme qui a vécu la Résistance de l'intérieur ?

Mise à part ces quelques réserves, on reste impressionné par la rigueur du dispositif de Melville. Pour raconter son histoire d'hommes, il filme à hauteur d'homme, un peu à la Ozu, la caméra ne bougeant pas de son axe parallèle au sol ; le cinéaste se met à la même hauteur que ses héros. Seuls un ou deux plans bouleversent cet angle, 18823294_w434_h_q80une contre-plongée sur le grand chef Meurisse, déifié par ce subit changement de point de vue, ou un axe de regard magnifique du même Meurisse lors de la cérémonie avec de Gaulle (il a trouvé plus grand que lui). Mais la simplicité de cet angle n'empêche pas la caméra d'être hyper-mobile, pour donner de la puissance aux moments tendus (le travelling lattéral qui recadre Ventura quelques secondes avant qu'il se précipite sur une sentinelle), pour se mettre à la place d'un personnage (les plans de la fin sur l'éxecution de Mathilde), pour rendre compte de la vastitude d'un décor, bref pour plonger son spectateur au coeur même du processus. Le film y gagne en tension comme c'est pas permis.

Quelques audaces de mise en scène finissent par nous convaincre que le conservatisme pointé plus haut ne peut s'adresser qu'au scénario : une scène d'exposition lentissime et très belle ; une attirance pour les plans 18823307_w434_h_q80obscurs poussée jusqu'à l'excès (des scènes entières sont réduites à des silhouettes) ; une utilisation des décors proprement extraordinaire, les murs déjà remarqués par mon collègue confinant à l'abstraction pure ; une façon surprenante de faire apparaître et disparaître dans le néant des pans entiers d'histoire ou des personnages (la scène avec Reggiani)... Melville reste bien le génie formel qu'il a toujours été, et c'est encore plus audacieux ici, où il se risque à la reconstitution historique et au film en costumes : jamais cette modernité visuelle ne déréalise ses décors de 1943, tout y est crédible même si passé par le regard du cinéaste. C'est une France vue à travers le prisme des souvenirs et de la cinéphilie, et pourtant on y croit (un peu comme le Miller's Crossing des Coen, qui doit beaucoup à ce film).

Tendu et beau, émouvant et rigoureux comme une formule mathématique, un classique, définitivement.   (Gols - 28/05/08)

Commentaires
A
Les dossiers de l'écran, et la scène du peleton... exactement le même souvenir, et des cauchermars pendant des nuits, suivi du refus tout net de jouer à un, deux, trois soleil dans la cour de l'école... je devais bien avoir 6-7 ans. Comme quoi, les grands films, ça marque quand même.
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