LIVRE : La Bouche pleine de Rose Brunel - 2022

A intervalles réguliers, et dans un but uniquement professionnel, je vais refaire un tour dans la littérature érotique contemporaine, histoire de vérifier où on en est dans le genre, si on trouve de nouvelles façons de décrire l'éternel Sexe, et aussi pour me réchauffer au cœur du cruel hiver. Un premier roman, écrit par une inconnue, au titre un peu lourdaud mais évocateur, ok, pourquoi pas : voici donc La Bouche pleine, tentative de mêler le sexe le plus débridé à la gastronomie. L'héroïne du roman, en effet, est une jeune fille passionnée par les arts plastiques, mais à qui papa trouve une place dans une formation d'élite en cuisine, dirigée par une exigeante cheffe étoilée. Alors, certes elle va expérimenter les crevettes en émulsion sur son lit de betteraves au miel, mais elle va surtout rencontrer un couple d'élèves qui va se montrer assez libéré. Au travers de jeux aux règles sophistiquées, nos trois camarades s'envoient en l'air dans toutes les combinaisons possibles, et leurs draps s'en souviennent, puisque, outre les fluides corporels qui ne manquent pas de couler à flot, ils introduisent dans leurs ébats moult légumes et force fruits, se rendant compte finalement que les carrés peuvent rentrer dans les ronds sans problème. Plaisirs de bouche tous azimuts, don de soi total, sur fond de compétition puisque finalement les gusses sont en concurrence pour gagner les faveurs de la cheffe, elle même pas la dernière pour se détendre après le boulot.

Bon, c'est toujours pareil avec ce type de bouquin : on ne s'y intéresse qu'aux parties crues, tout le reste ne servant qu'à tromper notre attente. Ici aussi, les parties qui se veulent narratives sur le cours de cuisine sont très fades. On ne s'attache pas du tout à cette petite trame, on soupire aux efforts de Rose Brunel pour tenter de nous faire oublier qu'on est dans un bouquin de cul, on a l’œil qui se fige devant ces recettes de cuisine savantes que la dame échoue à rendre appétissantes ou intéressantes. Comme dans les mauvais westerns, les parties "calmes" sont inintéressantes, et l'écriture de Brunel, même, accuse des gros défauts d'expression : fade au mieux, enfantines au pire. Penchons nous donc sur les parties érotiques : bon, c'est pas mal, la machine à fantasmes de l'auteur semble fonctionner à plein régime, et on rigole bien devant les inventions culinaires et les combinaisons acrobatiques de notre trio. Nul doute que Brunel sait ce qui excite, et sait mettre des mots choisis sur ces pratiques triolistes, donnant même à voir une façon très moderne et libérée d'envisager la sexualité. Pour les plus studieux d'entre vous, elle donne même une leçon assez complète sur le clitoris et les différentes façons de s'en servir, et c'est dans une gentille ambiance bien débridée qu'elle laisse parler ses envies et ses pulsions. C'est de la bonne santé en roman, c'est déjà ça. De la bonne littérature, c'est plus discutable, mais il faut reconnaître que ce n'est pas ce qu'on attend en premier d'un tel livre. C'est un peu dommage tout de même : les grands romans de cul ne sont-ils pas aussi les mieux écrits ?