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12 février 2022

Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée... (Christiane F. - Wir Kinder vom Bahnhof Zoo) d'Uli Edel - 1981

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Très étonné par ce film que je n'avais jamais vu, bien qu'ayant lu en mes jeunes années l'édifiant bouquin de Hermann et Rieck, comme tous les gamins de mon âge. J'avais été impressionné, mais je dois dire que Edel rend encore plus concrète cette descente aux enfers terrible de la petite Christiane. Frontal et dur, son film ne cache rien des détails du livre, montrant sans pudeur ce que c'est de plonger dans l'héroïne et la prostitution à 13 ans, quand on est une jeune fille jolie des années 70 en Allemagne de l'Ouest. C'est le triste destin de cette adolescente un peu lâchée par ses parents (père absent, mère démissionnaire), et qui va trouver dans la faune de The Sound, boîte en vogue à l'époque, une seconde famille. Et parmi eux, un petit gamin cool qui va l'initier d'abord aux plaisirs "sains" du vol à l'étalage et de la musique de Bowie, ensuite à d'autres nettement plus glauques : la drogue injectée dans les toilettes dégueulasses, le manque, la course au mark qu'il faut pour se payer la nouvelle dose, le tapin au "Zoo", lieu proche de la Cour des Miracles, la branlette administrée aux petits vieux, etc. Une jeune fille à la figure d'ange littéralement sacrifiée par cette génération perdue issue de la guerre, écrasée sous le poids du Mur, de l'urbanisme et du capitalisme galopant, le symbole d'une rébellion qui ne sait plus comment s'exprimer.

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La première heure, la plus "légère", est magnifique : on y découvre façon documentaire le Berlin interlope de l'époque, avec cette musique omniprésente qui représente le seul échappatoire de ces mômes. Edel fait passer avec une énergie folle le sentiment de liberté malgré tout, de révolte de ces jeunes gens, qui n'aiment rien tant que narguer les flics depuis les toits des immeubles, courir comme des andouilles dans les couloirs en faisant semblant de se vautrer, piquer la monnaie dans les distributeurs, rigoler et fumer des bédos. Et bien sûr, écouter Bowie : cette partie culmine avec un concert donné par le sieur lui-même, moment intense très joliment filmé comme une parenthèse de transe, et au cours duquel le maître échange un bref coup d’œil avec Christiane, ouvrant la voie à une possible lecture christique de la chose. En tout cas, le film trouve vraiment une façon très pertinente de parler des rapports entre jeunesse, musique et drogue ; on croirait presque un film de la Nouvelle Vague dans cette façon de laisser libre cours aux séquences extérieures qui ne montrent que des jeunes dépenser leur énergie. La caméra se fait cependant beaucoup plus mesurée dans les scènes au club, sinuant entre les créatures diurnes dans de très beaux plans séquence. Énergique et punk, telle est cette première partie.

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Une fois que Christiane est vraiment tombée dans la drogue dure, on déchante très vite. On ne rigole plus du tout dans ces séquences éprouvantes qui montrent la spirale inarrêtable vers toujours plus de déchéance. Les piqûres filmées frontalement, les passes montrées comme des viols, les phases de manque enregistrées dans la longueur, les tentatives de cure qui se soldent par des shoots pour en fêter la réussite (...), Edel montre tout sans se cacher derrière ses doigts. Le sentiment d'authenticité est total, d'autant qu'il a su s'entourer d'une bande de jeunes comédiens très convaincants, qui rendent à merveille les corps usés, les déchéances physiques qui entrainent forcément des vilenies morales (les trahisons, la violence), l'hébétude et l'indifférence au monde qui les gagnent peu à peu. La photo devient grise jusqu'au terne, la musique se tait, reste juste une petite fille défoncée qui regarde le monde s'écrouler autour d'elle. Truffaut n'aurait sûrement pas renié ce film, qui regarde les enfants comme les victimes sacrificielles de leurs aînés. En tout cas, nous aussi on est impressionné par la véracité de Moi Christiane F., par sa sincérité, sa dureté et son regard d'une tendresse et d'une brutalité mises au même niveau.

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