LIVRE : Elle, la Mère d'Emmanuel Chaussade - 2021

Un premier livre étonnant d'acuité et vraiment troublant pour Emmanuel Chaussade, et un premier livre d'une simplicité biblique : en moins de 100 pages, le garçon y traverse toute une existence, en l’occurrence celle de sa mère, une de ces femmes parmi tant d'autres mais qu'il décide, par ce texte, de sortir de l'anonymat. Il faut dire que la dame y a eu bien droit, à l'anonymat, elle qui passa sa vie ignorée, bafouée, abandonnée ou humiliée par sa famille, enfants et maris. Avec une cruauté, une crudité totales, n'excluant pas pour autant une tendresse et un amour immodéré pour sa mère, l'auteur retrace les étapes de cet effacement progressif, de cette femme qui a été brimée toute sa vie et méprisée par ceux-là même qui auraient dû l'aimer, et qui est morte dans une tristesse absolue dans un EHPAD, seule et frappée par Alzheimer. Emmanuel Chaussade étant le seul fils à l'avoir soutenue et comprise, il est le dépositaire de sa mémoire, et réalise ici un livre plein de bonté et de pitié pour qu'il reste, simplement, des traces de cette femme. Projet auto-centré ? Peut-être : le livre n'évite pas toujours le nombrilisme, et peine parfois à faire que le privé pénètre dans l'universel, que cette expérience soit partagée par tous. Dans ses moins bons moments, il devient un déballage un peu impudique, surtout quand Chaussade se met lui-même en scène face au désarroi de sa mère, dans une posture de victime sensible qui laisse de marbre (comme il peut exister une littérature de femme, repérable et codée, il se pourrait bien qu'il existe une littérature d'homosexuel). Bref, le livre ne trouve pas toujours le précieux équilibre qu'il vise, et tombe parfois du mauvais côté de la barrière, celui de l'expérience personnelle et de la complaisance dans la plainte. Mais la plupart du temps, il remplit brillamment sa mission, à savoir rendre justice à cette femme dévastée par l’incompréhension des siens. La grande sensibilité de l'auteur trouve les mots justes pour décrire cette violence sociale, cette douleur intense qu'a dû éprouver cette mère oubliée par ses enfants, voire moquée pour ses comportements jugés incohérents (alors qu'ils ne sont que francs), pour ses actes parfois dingues (la scène très troublante d'inceste), pour sa modestie même. Les dernières pages, décrivant le lent déclin de la vieille dame, sont carrément bouleversantes : on se rend compte concrètement de tous ces êtres qui disparaissent sans laisser aucune trace, alors qu'ils avaient tant d'amour à donner (je me rends compte de la mièvrerie de cette phrase, mais le livre vous fait vraiment éprouver ça)... Un livre nécessaire en tout cas pour l'auteur, et dont il arrive souvent à nous faire partager la nécessité : intense, très émouvant, et pathétique...