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26 juillet 2019

LIVRE : Légendes d'Automne (Legends of the Fall) de Jim Harrison - 1979

9782264006578, 0-698714Retour aux fondamentaux avant d'attaquer une rentrée littéraire qui sera sans nul doute d'une tiédeur sans pareille. Revenir à Harrison, c'est comme prendre un grand bain revigorant, une façon de vous réconcilier avec la littérature en un seul livre, de vérifier que, oui, avec le même nombre de mots que les pisseurs de copie actuels, on a été capable à une époque de toucher à quelque chose de magique. Magique, parce que voilà bien 40 ans que je cherche à savoir comment il réussit à produire cette écriture magnétique, d'une fluidité diabolique, tout en restant passionnant dans les trames et émouvant à mort, et que je n'ai jamais mis le doigt dessus. Un mélange de digressions savamment pesées, d'écriture semblant être au fil de la plume, de faux dilettantisme, de romantisme sûrement piqué aux Allemands et d'ancrage dans le territoire américain, de violence et de douceur, ajouté à une bonne dose de solitude, d'érudition, de goût pour les côtelettes et de roublardise, sûrement. En tout cas, voilà encore une fois, avec Légendes d'Automne, un exemple d'alchimie : il y a quelque chose qui tient de la sorcellerie dans ces pages, messieurs dames.

Harrison n'a jamais été plus en forme qu'à l'époque de ses premiers livres, et ce recueil en est une preuve éclatante. Ce livre regroupe en effet trois textes qui n'ont que peu à voir l'un avec l'autre ; disons qu'une certaine forme de violence les lie entre eux peut-être. Le premier met en scène un gusse qui a choisi la mauvaise femme. Amoureux de l'épouse d'un mafieux, le voilà laissé pour mort en plein désert ; le gars survit, guérit, et organise alors sa vengeance, qui vire petit à petit en quête éperdue de cette femme qu'on lui a arrachée, la violence de son dessein se changeant en volonté de faire la paix avec le monde par le biais de l'amour. Harrison prend tout son temps pour faire monter la sauce, décrivant longuement le périple de son héros, les à-côtés de la route, les rencontres, les petits détails de sa vie, plutôt que d'envoyer sans arrêt de l'action. Quand la violence éclate elle est sèche et brutale ; mais on sent que si elle forme la pâte de cette histoire, elle n'est pas ce qui intéresse le plus notre Jim. Il préfère dresser le portrait psychologique très original et précis d'un homme qui perd peu à peu le sens de la vengeance. La fin, d'ailleurs, est un peu décevante, malgré son beau romantisme, peu crédible. Mais tout le reste est d'un rythme parfait, sans cesse passionnant lors même que le gars nous parle d'oiseaux ou de hamburgers. A la fin de ce texte, notre bouche bée d'admiration, et on se contente d'enchaîner avec la modestie de qui a trouvé son maître.

Et on fait bien, puisque le deuxième texte est le plus beau, portrait d'un homme libéré de toute contrainte sociale, de tout savoir vivre, d'une vérité et d'une sincérité bouleversantes. Si son comportement est toujours en porte-à-faux vis-à-vis de sa famille ou de ses proches, les choses se corsent quand il le mène dans une sombre histoire de gangster du dimanche : on veut le tuer, le gars va réagir comme il sait le faire, c'est-à-dire dans la surprise totale. Non seulement c'est captivant et ça vous tient en haleine comme c'est pas permis, mais l'humour harrisonnesque est ici à son plus haut niveau, tout comme son style, sans arrêt surprenant. Il atteint à une véracité dans le dessin de son personnage qui prouve son profond humanisme, malgré ses rodomontades de solitaire anar. Enfin, le dernier texte annonce les sagas futures (Dalva) en montrant toute une famille au début du XXème siècle, brinqueballée par les événements de l'histoire ; il s'intéresse plus particulièrement au deuxième fils, aventurier sentimental, capable des pires crimes puis des plus belles déclarations d'amour, hanté par la mort de son cadet. Parfois marin, parfois rancher, parfois homme d'affaires, ce type traverse le siècle en jonglant avec la mort et le danger, véritable héros que n'aurait pas renié Cendrars, mais qui acquiert dans l'écriture vaste et pleine de souffle de Harrison une présence indélébile. Au bout du compte, c'est à genoux qu'on termine la lecture de ces pages, en bénissant Dieu d'avoir un jour créé un gars qui s'appelle Jim Harrison.

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