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25 mars 2017

LIVRE : On ne dormira jamais de Bruce Bégout - 2017

9791030405118,0-4031279Bruce Bégout clôt en beauté son cycle sur la Mort et le divertissement avec ce roman noir de chez noir (mais rose, aussi), directement dans la veine du génial ParK. En pleine connaissance des arcanes du plaisir contemporain et de ses voies improbables, le voilà qui invente une sorte de lieu ultime pour faire la fête : une morgue, tenu par un type sans caractère, et qu'un professionnel de l'événementiel (comme on dit) va transformer en lieu de décadence fêtarde, mix entre une boîte de nuit, un club libertin et un lieu de rencontre occulte. La morgue continue de fonctionner, mais le soir, elle se transforme en ce KluB où viennent s'éclater les nantis de cette société, confrontant leurs délires à la mort, et mélant l'apocalypse à l'ivresse. Dehors s'étend une mystérieuse fièvre jaune qui emporte une grande part de la population, et le Klub semble être le dernier bastion de la folie, le lieu où on vient contempler en face l'énigme de la mort, la vanité des choses et "l'affreux rire de l'idiot" comme dit Artaud. Un endroit qui réunirait Lautréamont, Ensler... et Pikachu, puisque notre narrateur se découvre parallèlement une passion pour l'élevage de lapins nains, et rencontre des fans déviants de cet univers rose bonbon complètement décalés dans ce monde morbide.

Comme d'habitude, Bégout ne se laisse pas attraper comme ça. A la fois familier dans ses thèmes, et très surprenant dans sa façon de les aborder, il offre cette fois un objet bizarre et insaisissable, qui a quelque chose à voir avec Houellebecq et Lovecraft en même temps, un livre très contemporain et tout autant très vieille école, qui prend son temps pour se laisser apprivoiser. Trop peut-être : cette fois-ci, Bégout semble tourner trop longtemps autour du pot, joue beaucoup de répétitions lassantes, et évite de plonger dans le grand bain. Le récit fonctionne sur la frustration du lecteur : à chaque fois qu'il semble s'approcher d'une vérité, il change de chapitre ; à chaque fois que notre esprit voyeur pense atteindre son but, il freine des deux fers. Pas de sexe là-dedans, pas de descriptions complaisantes de la mort, pas de clé réelle pour aborder le roman. Et c'est vrai qu'on finit le truc un peu frustrés, comme restés à la surface du sujet. Bégout revient sans arrêt sur les choses, changeant de fomules pour exprimer la même idée, et à force ça se voit (et je ne parle pas des énormes fautes de syntaxe ou de grammaire que les éditions Allia ont laissé passer, oh les gars, on se réveille ?).

Mais cette réserve, certes importante, mise à part, on ne peut que s'incliner une nouvelle fois devant l'univers philosophico-sciencefictionno-poétique du gars. Les trois sujets (l'épidémie, le KluB, les lapins), soigneusement séparés par les chapitres, semblent au début n'avoir aucun rapport les uns avec les autres. Mais peu à peu, Bégout réunit les trois en un seul, fabriquant une vision de l'Homme grinçante et mélancolique, où les derniers lambeaux de frissons qu'on octroie à l'humanité sont la mort et la régression, où on abat le désespoir à grands coups d'amusement et de chocs extrêmes. Le style, classique et rendu très moderne par là-même, est au service du fond, souvent drôle, de ce puzzle kafkaien 2.0, la plupart du temps sombre comme un livre d'épouvante. Un bouquin de Bégout ne ressemble à aucun autre, et lui seul sait faire le mélange entre philosophie moderne, urbaine, futuriste même, et tradition de littérature fantastique. On ferme le livre complètement conquis par ce bouquin étrange et exigeant, intelligent et sensible, presque un essai de sociologie qui aurait pu être écrit dans 20 ans. Grand.

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