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Shangols
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GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
9 novembre 2017

Nocturama (2016) de Bertrand Bonello

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Bonello revient en forme avec ce Nocturama toujours aussi somptueux au niveau de la forme (fluidité absolue du "filmage" et limpidité du montage - le côté rama comme dans panorama et panoramique) et sans doute un peu plus obscur sur le fond ou en tout cas moins évident à déchiffrer (l'aspect noctu). Le film pourrait aisément être divisé en trois parties : la mise en place des bombes (une jeunesse en action capable avec une précision d'horloger d'atteindre ses buts), le retranchement dans le grand magasin (errance de nos jeunes confrontés à la société de consommation) et l'assaut des forces de l'ordre (exécution clinique et systématique). Si l'on est absolument fasciné par la façon dont les événements s'enchainent, par la précision géniale de la mise en scène, on a de cesse de chercher sous ce magnifique vernis formel le message que tente de faire passer Bonello si tant est qu'il y en ait un – ce n’est jamais qu’une « proposition » cinématographique sur un thème malheureusement brûlant. Cela rend le film à la fois passionnant mais aussi un poil déstabilisant - ce dont on ne peut se plaindre, évidemment.

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La première partie est un véritable ballet mené par ces petits rats rebelles, véritables terroristes en herbe, bien décidés à tout faire péter. Quelques flashs-back nous mettent plus ou moins sur la voie quant à leurs motivations (les beaux discours incapables de régler le problème du chômage, les licenciements en masse des grandes entreprises bancaires - c'est une piste) mais on a tout de même le sentiment que Bonello reste (volontairement ?) relativement vague sur la question (quatre cibles symboliques ont tout de même été choisies : le ministère de l'intérieur, la statue de Jeanne d'Arc, un immeuble de la Défense, une fil de bagnoles garées devant la Bourse - le capitalisme, le Front national (? très belle image en tout cas de cette statue, symbole de la liberté à l'origine, qui pleure), l'impuissance du gouvernement... des pistes, disais-je plus que des certitudes). Un peu comme s'il s'agissait de montrer une jeunesse en mouvement, volontaire, simplement motivée par la volonté de faire péter un système sclérosé - mais on extrapole un peu, malgré nous, tant leurs revendications demeurent floues pour ne pas dire absentes.

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Ensuite, grande séquence de déambulation dans ce grand magasin évacué dans lequel ils ont trouvé refuge ; c'est là qu'on a encore un peu plus de mal à cerner le propos du film. Cette jeunesse ne tarde pas à sombrer à l'appel des produits de marque (les fringues en particulier) comme si l'aspect était, au fond, plus important que le fond. Il n'y a finalement que dans leur choix musicaux qu'ils font preuve d'un peu plus de personnalité, mais là encore on a un peu de mal à discerner une vraie ligne directrice. Ces jeunes errent dans ce grand magasin en faisant leur petit marché, et on a l'impression au bout d'un certain temps que c'est un peu la seule chose aujourd'hui que la société leur a laissée - vivre pour consommer... ou mourir ; les séquences de face à face entre les personnages et les mannequins habillés tout comme eux entr'ouvrent aussi un certain questionnement : sont-ils de simples produits ou sont-ils capable, eux, encore d'agir... Il y a bien deux trois couples qui se forment mais l'amour demeure traité avec une certaine morgue... Ces adolescents semblent un peu à la dérive, fiers d'une certaine façon d'avoir agi, d'avoir mis sur pied une action par eux-mêmes mais sans trop savoir où cela finalement les mène - c'est une interprétation possible que l'on finit par se faire : toute la détermination qu'ils avaient pour passer à l'acte semble avoir disparu une fois les actions menées à leur terme... Alors ils attendent et le doute, et la peur, et le vide ne vont pas tarder à les submerger.

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La dernière partie est la plus radicale et la plus effrayante. Disons simplement qu'aucune échappatoire semble possible et l'on se met là encore à chercher en creux le message : malgré toute leur bonne volonté de "changer le monde" (de façon un peu "explosive" et radicale, certes, mais sans chercher à tuer pour le "plaisir"), leur action est vouée à l'échec : quatre grands boum qui finissent par sonner comme un petit pschitt. Leur action - sans même que quiconque cherche à la comprendre - est automatiquement réduite à néant - et c'est sûrement au final l'aspect qui fait le plus froid dans le dos : comme si cette jeunesse, avec toute la meilleure "volonté" du monde était destinée à finir par se coucher... C'est une piste, répète-t-il à l'envi, en tentant de réagir à chaud devant ce film tout à la fois prenant et déconcertant. Le fait est que Bonello livre une nouvelle oeuvre absolument fascinante formellement et véritablement intrigante et qu'on n'en attendait pas moins de ce grand cinéaste. On prendra quand même quelques jours pour "décanter" la chose en attendant impatiemment l'avis du Gols ou de vous autres.   (Shang - 01/03/17)


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Voilà l'avis de Gols, un peu en retard il est vrai (il faut attendre le bon moment pour voir un film de Bonello). Eh bien ma foi, tout à fait de l'avis de mon camarade, on est là face à un très bel objet étrange et habité, splendidement monté (adoré l'espèce de répétition des mêmes scènes sous des angles différents dans la dernière partie, qui éclate complètement l'espace et le temps) et intrigant à souhait. Revenons, si vous le voulez bien, chers auditeurs, sur les trois parties évoquées par mon camarade.

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La première est la plus belle, d'une fluidité bluffante. On suit la minutieuse préparation aux attentats de ces jeunes, préparation qui consiste en un étrange ballet, à des déplacements géométriques dans la ville : on marche seul, on se rejoint, on se quitte, on se passe un objet quelconque, le tout dans un silence de mort. Il y a quelque chose de complètement dé-réalisé dans cette partie, on ne distingue jamais quel réel but servent ces déambulations nerveuses et ces gestes, et ce qui frappe surtout, c'est l'hétérogénéité de ces jeunes : venus de milieux sociaux différents, ils ne semblent effectivement rien revendiquer de précis. On va du grand bourgeois parisien, qui a ses entrées chez le ministre à la "racaille" à capuche de base, de l'intello grand crin à la petite frappe. Mine de rien, Bonello organise ici une révolution utopique, où toutes les strates de la société (jeune, certes) se rassembleraient pour atteindre un même but : faire péter. Dans cette partie, la caméra hyper-mobile organise un véritable réseau au sein de la ville, qui apparaît comme un territoire mystérieux, privé des "autres", comme une aire à quadriller. Certes, on devine par-ci par-là des amours (en cours ou passées), des regards curieux posés sur les uns ou les autres (c'est à lui que je dois filer mon flingue ?), des tout petits bouts de biographie ; mais ce qui intéresse Bonello, c'est l'abstraction de ces déplacements sans but et pourtant très organisés. Partie virevoltante, brillantissime, on est bluffés.

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Ensuite, c'est vrai que ça stagne un peu, même si ça continue à être très impressionnant. Le gars tente un remake de Zombie, et enferme son groupe dans l'antre de la consommation facile, une galerie marchande de luxe. Contrairement au gars Shang, je n'ai pas vu là-dedans une critique de la jeunesse révolutionnaire qui perd ses convictions au contact de la dernière veste fashion ; j'y vois plutôt un portrait d'une génération, capable de se révolter autant que d'aimer les fringues, la musique, le sexe et les clopes. Contradiction dans les termes peut-être, mais Bonello a foi dans cette génération. Il organise même un acte politique concret, puisqu'un des personnages va inviter un SDF et sa femme à entrer eux aussi dans la danse et s'empiffrer avec eux. Cette partie est parfois too much, un peu "tendance", avec ces scènes de play-back ou de bain un peu péteuses. Mais malgré tout, il y a encore de grands éclats de beauté dans cette attente un peu désespérée, dans cette façon de réunir dans un même espace confiné les milieux sociaux, les caractères, et de faire en sorte que ça marche quand même.

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La troisième partie, plus courte et explicite, termine le film avec brio. En occultant toujours, comme il l'a fait soigneusement jusqu'ici, le monde extérieur, aperçu seulement dans les télés, et ici envisagé comme une menace extérieure, il regarde ses personnages tomber, sans qu'on ait jamais su effectivement à quelque moment que ce soit la teneur de leur message ou de leurs revendications. Juste faire la révolution, après tout, peut suffire au rassemblement de ces jeunes gens mutiques et malheureux, et tout en filmant cette tristesse, Bonello enregistre aussi un vrai sens du groupe, une utopie éphémère possible. Pas si mystérieux que ça, finalement, tant la forme s'associe au fond et devient le sujet même du film. Un grand moment, en tout cas ; il faudra bien que je finisse par reconnaître que Bonello est un excellent cinéaste.   (Gols - 09/11/17)

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