Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
24 septembre 2012

LIVRE : Petite Table, sois mise ! d'Anne Serre - 2012

petite-table-sois-miseOn fait les gorges chaudes sur le dernier Angot, en vantant son courage d'aborder le thème de l'inceste aussi crûment. Pourquoi ne parle-t-on pas plus de ce petit roman absolument fantastique, qui traite du même sujet avec une audace mille fois supérieure, avec un vrai choix dans la façon d'aborder les choses, avec un parti pris incroyable et qui fonctionne beaucoup mieux que la fausse frontalité de Angot ? C'est les mystères du star-system. En tout cas, si vous n'avez qu'un livre à lire sur le sujet  en ce moment  cette année, précipitez-vous sur Petite Table sois mise. On y suit les souvenirs d'enfance d'une femme, livrée dès son plus jeune âge avec ses soeurs aux appêtits sexuels de ses parents et autres voisins : père obsédé sexuel se fringuant volontiers en fille, mère nymphomane et naturiste, et toute une clique de docteurs, notaires ou amies de la famille se livrant à des orgies fantastiques autour (ou plutôt sur) la table du salon, objet éminemment symbolique et bien pratique pour varier les positions. Oui, il est bien question d'inceste, et aussi de pédophilie, et le spectre d'Outreau rôde nettement autour de ces pages hallucinantes. mais Serre en fait, par un coup de force inoui, un conte de fées enchanté, un pur moment de récit décomplexé, presque joyeux, presque drôle. C'est que ses modèles, très nobles, sont à chercher dans la littérature érotique à l'ancienne, celle de Sade, de Pierre Louÿs, et qu'elle sait retrouver à merveille l'espèce de débauche joyeuse de ces grands auteurs. Du coup, son récit, pourtant terrifiant dans le fond, est imprégné de douceur, de joie : « Le sexe de papa faisait nos délices. Nous n’étions jamais rassasiées de sa vue, de son toucher. Sa forme exemplaire se dressait avec une telle autorité, les plaisirs qu’il nous dispensait étaient si vifs, que je me souviens du tapis à grosses fleurs de son bureau comme d’un jardin bien supérieur à ceux de Le Nôtre ».

Comment fait-elle pour tenir ce pari qui, sur le papier, était intenable ? Le parti-pris (éviter tout drame pour raconter un drame) y est pour beaucoup ; et le goût de Serre pour la littérature aussi. Dans la deuxième partie, la jeune fille, qui a grandi, quitte le foyer familial et s'émancipe, revenant alors sur ces souvenirs de façon presque apaisée, et reconnaissant même (comme Angot, tiens), que ces déviances passées ont servi sa vocation d'écrivain. Si le style de cette partie est beaucoup plus calme, beaucoup moins extravagant, on est tout autant subjugué par cette façon de voir les choses, à mille bornes des pages psys de Maris-Claire ou de tout ce qu'on peut entendre sur le sujet. Au final, ce très bref roman est la plus grosse audace de la rentrée, et on ferme le bouquin avec la conviction qu'on tient là une sorte de texte définitif sur le sujet. Un chef-d'oeuvre fulgurant, osons le mot.

Commentaires
Derniers commentaires