Il était une Fois en Amérique (Once upon a Time in America) (1984) de Sergio Leone
"- Qu'est-ce que tu as fait pendant toutes ces années ?
- Je me suis couché tôt." - Noodles
"Il est 22h25 et je n'ai plus rien à perdre." - Max
Le film que j'amènerai sur une île déserte ? Sûrement, même si cela s’avérerait un peu couillon sans télé, lecteur ou électricité. J'ai dû voir ce film en boucle dans ma prime jeunesse et j'ai passé pratiquement quatre heures à manger de la madeleine. Incroyable le nombre de séquences que je connais sur le bout des doigts, ma préférence allant encore et toujours à l'heure consacrée à l'enfance des cinq personnages : la danse de Déborah (Jennifer Connelly dont je me suis tapé par la suite un bon paquet de films... juste par fidélité à ses amours de jeunesse...) avec le "cafard" dans les toilettes, la charlotte à la crème et cette "cochonne" de Peggy, la rencontre entre Noodles et Max avec la montre à gousset... Je pourrais m'étendre pendant des pages et des pages sur les séquences inoubliables de cette œuvre et cela deviendrait sûrement un peu pénible à la longue. Bon, alors pour po trop vous embêter sur ce film que, j'imagine, tout le monde connaît par cœur - sinon c'est un tort - juste deux ptites choses : tout d'abord le côté "proustien" (la citation de Noodles forcément) et le rapport en général au temps (Il était un temps en Amérique serait sans doute une traduction plus fidèle, quand on y songe...) et ensuite on essaiera humblement de voir dans quelle mesure ce film est comme une sorte de mise en scène de toutes les joies et surtout de toutes les déceptions d'une vie.
Once upon a Time in America constitue déjà, au niveau de la forme, un véritable labyrinthe temporel : on commence le film pratiquement au milieu de l'histoire avant d'assister à un véritable festival de flashs-forward et de flashs-back ; Leone dynamite les repères temporels mais on suit malgré tout avec une grande fluidité (surtout après l'avoir revu une bonne dizaine de fois, certes) les trois âges de Noodles : l'enfance (la vision de Deborah par le "trou rectangulaire" dans les toilettes : une sorte de film qu'il ne cessera de se repasser toute sa vie, une sorte de temps "suspendu" que le vieux Noodles, en "montant" sur les toilettes, ne pourra s'empêcher de vouloir retrouver ; la rencontre avec Max qui se fait forcément par le biais d'une montre ; la mort de Dominic et ce sublime et seul ralenti du film comme une vision cauchemardesque qui hantera Noodles toute sa vie), l'âge d'homme après douze années perdues en prison et déjà passées à ressasser les souvenirs d'enfance (dès son retour à la vie, à la liberté, Max lui "offre" un cadavre - temps éternel, figé - qui se ranime au contact de Noodles : ce sera tout le drame de la vie de Noodles, cette volonté de vouloir ranimer le passé (en amour ou en amitié) ; la fameuse séquence en ouverture et en conclusion de Noodles fumant de l'opium, seul état léthargique qui lui permet d'oublier le présent pour se plonger dans les délices de ses rêves passés) et enfin la vieillesse (ses "retrouvailles" avec Deborah ("Le temps ne pouvait la flétrir" peut-on lire sur l'affiche d'Antoine et Cléopâtre de Shakespeare dans sa loge : l'éternelle jeunesse du souvenir de cette femme, au moins dans l'esprit de Noodles) puis celle avec de ce Max qu'il se refuse d'appeler justement par son nom ("Mister Bailey" se plaît-il à répéter à l'envi, le Max de ses souvenirs, du temps de leur amitié, étant mort pour lui depuis longtemps). Le personnage de Noodles ne se complaît point véritablement à effectuer une "recherche du temps perdu", son enfance constituant plutôt un temps béni qu'il sait malheureusement perdu à jamais...
Tout le parcours, à l'âge adulte de Noodles, semble être une inévitable suite de désillusions, de déceptions, de ratages : le viol de Deborah dans la voiture ; il tente d'en prendre "possession" une bonne fois pour toute... et la perd définitivement ; la trahison de ses comparses : alors qu'il veut les sauver (mieux vaut quelques années en prison, se persuade-t-il, plutôt que d'aller au carnage en attaquant la banque fédérale), il les mène à leur perte... La tragédie de Noodles, c'est qu'il ne peut rien garder, sauvegarder - en amour comme en amitié : le présent et le futur lui semblent définitivement "inaccessibles", c'est un homme piégé à jamais dans le passé, la période des espoirs, des rêves, autant de choses qu'il ne pourra jamais concrétiser... Et le grand problème c'est que notre homme en est diablement conscient, aucun acte ne pouvant venir changer quoi que ce soit - lorsque l'ambitieux et jaloux Max se vante de lui avoir "volé sa vie" et pousse Noodles à se venger, celui-ci ne sait que trop bien qu'il ne tirera aucune satisfaction de cette vengeance, ayant fait le deuil depuis longtemps de toute satisfaction : il n'est là finalement que par simple "curiosité", tout autre sentiment l'a déserté depuis bien longtemps... A l'image de ce syndicaliste "aux mains blanches" corruptible en un tour de main, le film baigne dans une sorte de noirceur d"illusions corrompues". Tout se perd, rien ne se crée, ne reste que des images flottantes du passé enfui, enfoui que Leone tente d'exhumer, de retrouver, de transmettre (sur une musique moriconissime et un petit air, incontournable, de yesterday)... Le film ultime ? Allez, lâchons-nous, d'autant que cela n'engage à rien, on est le 1er avril. (Shang 01/04/12)
Il était une Fois en Amérique (Once upon a Time in America) (1984) de Sergio Leone : Extended director's cut
Je crois que je pourrais réellement revoir ce film en boucle... Le prétexte, cette fois-ci, ne fut point la version Blue-Ray mais la fameuse "extended director's cut" avec tout au plus une vingtaine de minutes ajoutée, une poignée de scènes. Il y a tout de même parmi ces scènes remontées deux trois aspects intéressants (même s'il est bien dommage que la qualité de l'image de ces "ajouts" soit si faible : cela fait vraiment parfois « pièce rapportée » cherchant à se greffer sur le film). Il y a notamment ce long passage où De Niro, après le viol de Déborah (le summum de l'auto-sabordage de Noodles), va dans les bras de Eve (cette blonde un brin salope croisée la première fois lors d'un hold-up) : Noodles, blindé, décide de la nommer Déborah pour avoir une sorte de véritable nuit d'amour par procuration ; seulement là encore, le pauvre Noodles rate cette "seconde chance" : il s'endort avant même d'avoir pu pénétrer cette Eve-Déborah - l'impuissant Noodles face à son destin. Il y a une autre scène, vers la fin du film, où on le voit assister au spectacle de Déborah jouant Cléopâtre sur scène (elle se donne la mort sous ses yeux, une belle métaphore de leur histoire d'amour avortée) : la scène est également un "reflet" de celle où Noodles lorgnait la toute jeune Déborah depuis "la lucarne" des toilettes - Déborah reste définitivement le grand fantasme de Noodles, comme une image de la perfection projetée sur un écran qu'il n'a jamais pu rejoindre, dont il n'a jamais su être digne.
Sur la toute fin, il y a une autre séquence qui ne manque pas d'intérêt entre le sénateur Bailey et le fameux syndicaliste : ce dernier veut faire signer au sénateur une sorte d'arrêt de mort, une sorte de solde de tout compte (avec un « envoyé de Faust » ? Ouh là, ne nous égarons point). Max-Bailey, contrairement à Noodles souvent un peu penaud, même dans les moments les plus cruciaux, garde la tête haute, reste fier : pas question de flancher, de s'avouer vaincu, même au moment de sortir. Max a décidément un aplomb de tous les diables (et une fin résolument infernale... on pourrait d'ailleurs évoquer le "gouffre" dans lequel il se jette lui-même pour en finir) alors que le gars Noodles (loin d'être parfait (le viol notamment… tout de même, sans parler des meurtres…) mais payant toujours le prix fort pour ses péchés (la peine de prison, entre autres)) semble, lui, promis au paradis (tout de moins on l'espère, après la vie de merde qu'il a eue) : dans une autre séquence ajoutée (la visite au mausolée), la responsable des lieux lui demande s'il ne voudrait pas créer son propre "paradis" (en faisant référence à son propre lieu de repos) ; insidieusement, cela renforce cet éternel antagonisme entre ces deux frères "ennemis", l'un semblant promis au ciel, l'autre à l'enfer - ce qui est bien avec ce film, c'est qu'à chaque fois, on essaie de trouver un autre angle d'approche, de creuser une nouvelle "thèse" : comme pour se justifier de le revoir pour la douzième fois.
Pour conclure (sinon je sens que je vais repartir pour deux pages), ce qui me sidère littéralement, c'est la façon dont on est pris à la gorge à chaque scène (beauté des décors, de la musique (à l'époque Morricone savait encore écrire des thèmes mélodieux : aujourd'hui, il est juste bon pour Tarantino), justesse du jeu des acteurs (Putain De Niro, quand même, à cette époque... et dire que depuis 20 ans, il enchaîne bidule sur bidule... le gâchis, le gars)...) alors qu'on connaît l'œuvre par cœur... Cela m'effraie, franchement. Dès que l'on revient sur les premières scènes d'enfance, j'y retombe moi-même - c'est absolument fascinant... Bref, le meilleur film de ces quarante dernières années voire des ces quatre-cents dernières années ? Je mets une option. (Shang 26/02/16)