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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
15 septembre 2023

La Folle ingénue (Cluny Brown) (1946) d'Ernst Lubitsch

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On est sûrement un ton au-dessous de Bluebeard's eight Wife au niveau de la comédie pure et des situations délirantes, mais le petit couple, destiné forcément à finir ensemble, formé par Charles Boyer et Jennifer Jones tient tout de même bien son rang : lui en gentil pique-assiette se plaisant à jouer au confesseur et au psy de fortune, elle délicieusement spontanée et légère - la parfaite ingénue, quoi - souvent un peu lente au démarrage (son premier flirt amoureux fait tout de même franchement peine...). Charles et Jennifer font véritablement figure d'électrons libres dans ce monde d'aristos anglais, qu'ils se retrouvent à la ville ou à la campagne. Charles incarne donc un professeur tchèque qui a fui en 38 l'arrivée des troupes nazies (ptit accent français, nan, surtout ?... grave, Charles is totally in frrrreeee wheeeeellll) et ne fait aucune distinction lorsqu'il s'agit de s'adresser à des lords ou à des servants ; le pire, c'est que ce sont finalement ces derniers qui paraissent parfois le plus "choqués" par cette façon de s'adresser à eux en toute franchise (excellent, celui qui sort à la gouvernante, sans apparemment comprendre comment cela peut être possible : "Il m'a parlé d'égal à égal !"). Jennifer, nièce d'un plombier, aime à jouer avec les tuyaux (on aura notre lot d'allusions sexuelles, bien sûr), a bien du mal à garder toujours les pieds sur terre - elle vit un peu dans son monde - et craquera pour un petit pharmacien de bourg plus ennuyeux qu'une montre en panne ; heureusement que le Charles veille pour tenter de lui dessiller les yeux : le véritable amour de sa vie, c'est lui, que diable, elle pourrait facilement s'en rendre compte si seulement elle prenait une fois la peine, pendant douze secondes, de vraiment se concentrer...

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Il est souvent question de la guerre aux portes de l'Europe - un petit "salaud d'Hitler", même en 46, ça ne mange pas de pain -, d'évoquer le fossé entre les classes - cette morgue respectueuse des serviteurs semble nous plonger au moins trois siècles en arrière - mais surtout finalelement, encore et toujours, d'amour : comment parvenir à accepter ce qui crève les yeux, avouer ses sentiments, s'engager ? Ce sera un peu le taff du Charles auprès de la hautaine Betty Cream (Helen Walker, toute en arrogance dans le regard) et de cette jeune fille un peu en manque de repère, notre amie Cluny. Charles possède sa propre philosophie (sa formule magique restant : "pourquoi ne point donner d'écureuils aux noix ?" - leitmotiv qui s'impose comme un gag récurrent), sait savoir faire fi de l'étiquette et des convenances pour dire ce qu'il a "sur le coeur" (pénètre la nuit dans la chambre de Betty Cream pour lui dire, malgré ses menaces, ses quatre vérités), mais a bien du mal malgré tout à charmer la chtite Cluny. Cette dernière s'est donc embarquée avec un vieux schnock du village (la mère de ce pharmacien est encore pire : elle ne s'exprime qu'en toussant, en grognant ou en ronflant...), idéalisant à la folie l'idée de "propriété" et de "tranquillité". Charles n'en revient pas de voir cette jeune fille si fraîche (et diablement sensuelle : Jennifer en chatte persane, miaou +)) succomber à ce gazier si terne ; il ne cherche point cependant à lui forcer la main, mais espère bien qu'un jour elle finira par revenir sur terre (c'est pourtant bien mal parti, les airs à l'harmonium de notre ami pharmacien qui joue comme un pied semblant plonger la Jennifer en transe orgasmique... heureusement que notre homme est niais...). Of course, il ne faut jamais désespérer...

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On est jamais sur un rythme de comédie endiablée, plutôt dans une sorte de continuel humour à froid dans lequel le Charles excelle avec ses petites remarques balancées l'air de rien. Son style posé, lucide, tranche forcément avec la candeur absolue de la belle Jennifer totalement inconsciente de son charme. Ces deux-là se rencontrent et se retrouvent par le plus pur des hasards, mais on voit mal comment ces deux "idéalistes", chacun dans leur genre, pourraient nous empêcher d'assister à un happy-end que cèlerait un baiser... Lubitsch a naturellement encore la main pour trousser comme personne de mignonnettes comédies sentimentales, disons simplement que Cluny Brown n'est sans doute point son chef-d'oeuvre.   (Shang - 27/01/11)

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Pas son chef-d’œuvre, non non, mais encore tout de même bougrement génial de bout en bout, ce Cluny Brown. Chaque ligne de dialogue, surtout prononcée par ces acteurs éblouissants, est un enchantement de second degré, de double sens, d'allusions sexuelles plus ou moins fines. Si bien qu'on se dit que le personnage principal du film, c'est bel et bien la parole : celle qui dit (Boyer), celle qui est retenue (la mère du pharmacien), celle qui brasse du vent (les notables), celle qui n'a aucun filtre (Cluny). Dans cette histoire d'éviers bouchés et de personnages constipés par la vie, on peut voir une forme de libération de la parole en la personne des deux personnages principaux ; Cluny parce que, en bonne déboucheuse, elle s'exprime tout franc ; Belinski parce qu'il passe par-dessus les conventions sociales. Tout n'est que toux qui remplace les mots, nez bouché qui les ridiculise, accents qui les déforment, cris de plaisir qui les compensent, dans cette ode au langage, peut-être le vecteur le plus reconnu chez Lubitsch pour exprimer l'orgasme. Car il est très souvent question d'orgasme là-dedans, et la parole en sert bien souvent de véhicule : depuis ces plans d'une audace extraordinaire qui montrent Jennifer Jones en proie à la jouissance une fois l'évier débouché (et le champagne englouti) jusqu'à ces mille répliques à double tranchant qui, si vous avez l'esprit badin, déclencheront sûrement vos sarcasmes, le film est une ode à la jouissance sans entrave, celle qui passe par-dessus les fâcheux et cherche à s'exprimer tout cru.

Sans titre

Lubitsch a certes perdu un peu de son clinquant à la mise en scène avec ce film qui sera son ultime. Le seul endroit où on repère encore son génie de ce côté-là, c'est sur la dernière séquence, étonnamment muette, une tuerie d'utilisation de l'ellipse et de la suggestion pour montrer la grossesse de Cluny Brown : c'est extraordinaire d'intelligence. Le reste du métrage compense par les mots et par les acteurs la brillance passée du réalisateur à la mise en scène. Mais de ce côté-là, c'est un éblouissement. Les comédiens, qui semblent s'amuser beaucoup avec ce petit scénario sans façon curieusement dépourvu de montée dramatique, font des numéros impayables, notamment ceux interprétant le "mauvais côté de la barrière" : petit personnel confit dans le mépris de classe dont ils sont victimes et qui s'en font même une revendication, bourgeois installés dans leur crasse ignorance, notables fiers d’eux-mêmes et de leur bonne morale, jeunes gens trop exaltés. Dans ce vivier de médiocrité, Boyer et Jones s'en donnent à cœur joie dans leur jeu de dézingage des conventions, avec un charme irrésistible : lui est d'une classe absolue, et montre un grand talent pour écouter ses partenaires (on reconnait un grand acteur à ses mains et à sa capacité d'écoute, voir ma thèse à paraître un jour ou l'autre), elle est d'une désarmante candeur, et on regrette qu'elle se soit si peu essayé à la comédie. Bref, je suis sous le charme de cette petite œuvre dédiée au plaisir.  (Gols - 15/09/23)

la_folle_ingenue

Commentaires
B
Ah ben oui. Suis-je bête. Le capitaine Wyatt, La forêt interdite, L’expédition du Fort King… c’est dans ÇA qu’il faut que je me replonge avant de tailler la zone.<br /> <br /> Quoique. Le ketchup a un look super pimpant dans les H.G. Lewis, ce qui fait que leur Eastmancolor n’est somme toute qu’à quelques encablures des chatoyances de Ray, Walsh et Boetticher !<br /> <br /> <br /> <br /> Point vu ni entendu parler du Germi. Me semble qu’on avait jouté (à fleurets mouchetés, bien sûr) en ces colonnes shangoliennes sur son épaisse comédie Ces messieurs dames dont je suis peu client. Bâillements similaires<br /> <br /> face à Divorce à l’italienne ou Séduite et abandonnée. <br /> <br /> N’est pas Risi, Monicelli, Comencini qui veut, ha.
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K
Méééééé nooooooon, silly. Tout est dans le triathlon (cf. Kikipedia, se veramente). Ma Girl* n’étant autre que l’étape intermédiaire, le popotage de selle, le biclou quoi… en aucun cas à sous-estimer à l’aune de la trempette-2B et de la sprint-Party, d’ailleurs !<br /> <br /> <br /> <br /> Dak sur tout Lub’, bien sûr. Aussi – et surtout – les mélos, comme tu dis. Sauf que 2B m’a laissé une sacrée estampille, à moi, et plutôt deux fois qu’une ! Rien que le « heil myself » ou le saut non-parachuté de ces deux pilotes pleins de dévotion me mortifient les côtes à chaque coup…<br /> <br /> <br /> <br /> Eh ben. Alors comme ça, on décampe de Pantruche pour s’en aller wagonmasteriser aux côtés de Ben et Harry Jr., hé ? Figure-toi que dans une demi-lune (give or take), j’embarque moitié et marmaille destination swamp, Everglades et gators, moi. Là où ils ont tourné tout ces trucs mignons comme Blood Feast, Two Thousand Maniacs, Le mort-vivant et Cauchemars à Daytona Beach !<br /> <br /> <br /> <br /> <br /> <br /> *me semble que ta circonspection portait, entre autres, sur les traits un fétu ingrats de la mère Rosalind et au fond, je ne peux te jeter la pierre. Mais j’ai toujours reconnu les imperfections de mes films parfaits, moi, hé.
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B
Un obscur réalisateur français plus connu pour son célèbre bouquin le Hitchbook que pour sa filmo guère attrayante ( pouvez y aller , j'ai sorti le pare-balles ) avait sorti un jour que " dans le gruyère Lubitsch , même les trous sont au top ". Pour l'instant je lui donne toujours raison , sans problème après en avoir maté une dizaine environ dont seul manque " Haute pègre " pour les plus connus . Revu la candide Cluny brown en dvd , la miss ingénue folle de tuyaux et encore sous le coup de crises de fous rires incontrôlables dus aux fameux dialogues pétillants d'intelligence , cette critique acerbe et subtile sur les rapports de classes et ( ahhh le dialogue sur le mouton dans le tableau , sur le " mon camp " , livre sur le sport d'Hitler ou encore la gouvernante et le valet qui se complaisent dans leur condition de minables serviteurs en se remémorant les premières miettes ramassées sur le lit de la maîtresse de maison etc..) cette impertinence teintée d'érotisme ( le miawwwwh de la Cluny bourrée fière de la réussite de son premier job et le rapport évident aux tuyaux ) , tout ce mélange régale les sens et on en sort quasi-groggy pour ma part . La recette des écureuils aux noix sauce Lubitsch est bonne à savourer par tous les temps , et c'est encore meilleur réchauffé même après avoir passé des lustres au congélo . Woouufff , allez on enchaîne sur Trouble in paradise au prochain créneau .
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Z
Alors vous préférez Bluebeard's eight Wife ? Ça commence fort avec le pyjama, dommage que la suite soit irrégulière. La faute peut être aussi à un Cooper moins délié que d'ordinaire. Moi je l'aime bien cette petite Cluny Brown et le film m'a paru mieux construit (moins dans la comédie pure c'est vrai). Pas loin d'être aussi bon que To be or not to be.<br /> Merci de raviver un bon souvenir. La technologie donne à voir tellement de films qu'on a tendance à oublier...
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