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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
19 septembre 2009

Les Sacrifiés (They Were Expendable) de John Ford - 1945

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Voilà une pure merveille, l'archétype parfait du cinéma de Ford tel qu'on l'aime : digne, noble, sobre, lyrique sans effets, bouleversant sans utilisation des grosses ficelles habituelles. Parfois, chez Ford, trop de modestie aboutit à des films à la limite du désincarné ; ici, c'est tout le contraire : l'émotion vient de ce travail d'humilité totale, vers ce respect envers sa trame et ses personnages. Loin d'aboutir à un effacement du metteur en scène, cette simplicité pleine de droiture nous donne droit à un des films les plus visuellement parfaits du gars John, et ceci sans crânerie, avec une économie de moyens impressionnante.

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Un groupe de soldats américains pris dans la guerre contre le Japon aux Philippines ; leurs actes, leur quotidien, leurs combats. Point. Pas un poil de graisse dans ce portrait au cordeau d'hommes en train d'agir. Pas de passé, pas de psychologie, pas de trame parallèle : des actes, des hommes. Même pas des héros, même si le film, prodigieusement empathique et lyrique, nous montre tout le courage de ces gars face au danger : juste des soldats qui font ce qu'il y a à faire, avec les moyens du bord, pleinement conscients que tout ça ne les mènera qu'à la mort, et qui y vont tranquillement. Bien sûr, c'est foncièrement patriotique, voire propagandiste : Ford ne s'interdit aucune incursion du drapeau américain dans le cadre, aucun dialogue exaltant le sacrifice pour le pays. L'hymne ricain passe en boucle, et le soldat est sans cesse déifié par des contre-plongées sur fond de ciel bleu qui agrandissent les corps, mettent en valeur les machoires serrées. Mais c'est fait avec une telle objectivité la plupart du temps que même ce sentiment pariotique finit par être grandiose (et Dieu sait qu'il m'en faut beaucoup en général pour que j'applaudisse aux actions militaires).

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Ford tente d'être le plus honnête possible avec les faits. Les scènes de bataille sont très réalistes, filmées dans la longueur : on voit toutes les torpilles qui manquent leur but, on voit les petites hésitations, les peurs, les doutes, les échecs aussi bien que les victoires. Ce souci de véracité historique n'empêche pas le film de déployer des tas de petits détails intimes qui bouleversent : un chat embarqué comme une mascotte sur les bateaux torpilleurs, une conversation sur la recette des crêpes échangée entre deux soldats juste avant l'assaut, un dîner aux chandelles avant le jour J en compagnie d'une jeune fille,... Ford s'accroche au quotidien de ces sacrifiés avec une précision diabolique, sans jamais charger la mule, sans jamais nous imposer l'émotion. A ce petit jeu, Robert Montgomery, personnage principal de cette fresque réaliste, est immense : sobre et secret, il est "l'homme normal" idéal, petit mec pris dans cette guerre et qui l'aborde en vrai héros ; fascinant de voir comment il épure chacun de ses gestes (la toute petite hésitation quand il prononce son discours devant ses hommes, bouleversante : il voudrait en dire plus, faire passer une émotion, mais se rend compte que ça ne servirait à rien, que ces gars sont presque déjà morts ; tout ça dans un seul micro-déplacement), comment il s'enlève tout glamour pour mieux rendre justice à la grandeur discrète de son personnage. Il est ici flanqué d'un John Wayne totalement respectueux de son "second rôle", sobrissime, ombre discrète et digne qui lui aussi émeut plus qu'à son tour.

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Les cadres inventés par Ford sont absolument géniaux, toujours au plus pur, toujours dans le bon axe pour exalter discrètement le sentiment. Regardez la scène où Wayne tombe amoureux de son infirmière : après un premier plan sur elle presque objectif, la caméra se met à la place de son regard, déifiant cette présence féminine incongrue dans ce monde de mâles, magnifiant le visage de l'actrice (Donna Reed). Ford s'attarde sur chacun de ses personnages, du plus petit au plus grand, avec un amour immodéré pour ces hommes sacrifiés, avec une façon de partager leur douleur et leurs secrets qui vous scie les jambes. Simples portraits cadrés "carré" sur des visages profonds, tableaux sublimes exaltant la nature, chaos des scènes de bataille où les acteurs ne sont jamais perdus au milieu du tumulte... They were Expendable est un film de metteur en scène, tout simplement, un hommage aux possibilités du cinéma, et une grande claque aux cinéastes à effets.

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