Le Rendez-vous des Quais de Paul Carpita - 1953
Sur l'insistance passionnée de MD, auteur du précieux blog Ralentir Travaux, un petit tour du côté de ce Paul Carpita, cinéaste auréolé d'un petit mythe qui n'est pas pour me déplaire... enthousiasme que je ne partage pas vraiment, il faut bien le dire. Le Rendez-vous des Quais est charmant, plein de cigales et d'accent ensoleillé, mais il peine, selon moi, à quitter le domaine du film bon enfant pour rentrer dans celui du grand cinéma. C'est un peu un Renoir privé de drame, ou pour être plus dur un Carné marseillais.
Du premier il copie Toni, dans cette façon de montrer des "vrais gens" en action, en l'occurence un groupe de dockers et d'ouvrières en biscuiterie en proie aux duretés de la vie (la guerre en Indochine, la domination des patrons). Après un portrait un peu naïf du Marseille des cartes postales, celui de la pétanque, de la mauvaise foi pétaradante et des parties de pêche, Carpita les plonge dans l'actualité : une grêve s'organise dans le port, et il s'agit de choisir son camp. Cette tension va donner lieu à une lutte intestine entre deux frères, l'un revendiquant une revalorisation du prolo, l'autre cédant aux manipulations des briseurs de grêve. C'est pas mal, cette façon d'inscrire un cinéma très marqué "vieille France" (celui de Pagnol, en gros) dans le monde actuel, et Carpita réussit ce fragile équilibre entre film touristique un peu rance et nouveau cinéma. Ses prises de vue en extérieur, le mélange de fiction et de documentaire (les plus beaux plans sont ceux, factuels, sur les docks), son utilisation d'acteurs amateurs pour augmenter la véracité de la chose, tout ça le raccroche non seulement à Renoir, mais à une vague du cinéma français encore discrète à l'époque, celle qui partirait de Rosselini et qui arriverait à Rouch, disons. Mais il y manque la tragédie, la vraie prise de position radicale qu'aurait nécessité son sujet : Le Rendez-vous des Quais reste bon-enfant, sans qu'on frémisse du sort des personnages, sans qu'on atteigne la profondeur presque mythique de Toni. Tout se termine par une partie de pétanque et un couple amoureux, et on aurait préféré que la prise de position politique soit un peu plus définitive que dans ce simple mélange entre chronique douce-amère et pamphlet coléreux.
De Carné, il a le talent pour le portrait de moeurs, pour les personnages hauts en couleurs. Son marin véhément, son petit couple mignon, ses gonzesses taquines, tout le raccroche à une tradition du cinéma français qui met le personnage en avant, profondément humaniste et amoureux des gens. Mais Carpita n'est pas un pro de la direction d'acteurs (ils sont assez mauvais), ni du montage (heurté, maladroit, qui voudrait mettre toutes les prises dans chaque plan), et le film manque de cette finesse et de ce savoir-faire qui aurait pu le rendre vraiment grand. On reste dans l'agréable, il manque l'impureté qu'on aurait aimé poindre dans cette histoire somme toute pas si lisse. Pourtant, certain cadres sont vraiment très beaux, comme le dernier qui montre un couple naissant encerclé par des ombres, avant de le suivre en travelling dans un espace complètement dégagé et frappé par le soleil. Il y a quelque chose, un vrai ton personnel, et une façon d'aborder le cinéma par un biais plutôt intéressant, celui de la vraie vie. Mais ça reste un film d'amateur manquant d'ambition. Carpita est d'une sincérité touchante, ça ne suffit pas pour faire un grand film.