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24 mai 2009

Les Rapaces (Greed) d'Erich Von Stroheim - 1924

rap

9h30 de film au départ, 3h32 aujourd'hui : Greed est presque plus connu pour son côté maudit que pour le film lui-même, c'est l'archétype du chef-d'oeuvre invisible mutilé par les producteurs. Et c'est vrai que quand on voit les traces qui restent de ces scènes perdues, on soupire : ça promettait, mazette. Encore, quand je dis 3h32 : la moitié du film tel qu'on peut le voir aujourd'hui est constituée de photogrammes, d'ailleurs splendidement reconstruits par les rénovateurs récents. On peut quand même à peu près mesurer l'ambition du projet.

greed

Ca commence dans une petite ville tranquille et par une bluette sentimentale sans conséquence, et ça se termine sous le soleil suffocant de la Death Valley. Entre les deux, l'or et les conséquences de la rapacité des hommes. Très moraliste, le père Von Stroheim n'y va pas par quatre chemin : la soif de richesse est la seule source de tous les maux, violence, désamour, suicide, privation de la liberté, domination, etc. Fabuleux de voir comment le film ne va naviguer que sur cette seule idée pendant des heures, convaincu de son indignation. Tous les évènements, toutes les misères de ses héros découlent de cette seule déification de l'or. Pourtant la trame (d'origine) est extraordinairement complexe, malgré cette ligne droite empruntée par le scénario. Il y a au moins 10 personnages importants, des sous-trames qui viennent délicatement souligner la mélodie principale, une façon détaillée de s'arrêter sur chaque décor, sur chaque petite anecdote pour dresser une fresque gigantesque et intime à la fois. Stroheim n'est pourtant pas Griffith, et s'en moque bien d'ailleurs : chez lui, pas de clinquant, pas de décors gigantesques, pas de milliers de figurants partout : il reste toujours au plus près des sentiments, privilégiant les scènes d'intérieur, les gros plans (qui vont jusqu'à cadrer une larme qui coule sur une joue). Le sentiment d'assister à un film sur-puissant est pourtant bien là ; c'est parce que Stroheim place toujours ses personnages par rapport à la nature (humaine ou extérieure) et doppe chaque sentiment jusqu'à la folie.

_27Greed

Mac est un gros nounours gentil, qui sauve les petits oiseaux égarés (mais balance du pont le gars qui se moque de lui). Il tombe amoureux de Trina (Zasu Pitts, immense dans ses métamorphoses), petite gamine un peu coinçouille. Tout va à peu près bien jusqu'à ce que la donzelle gagne 5000$ à la loterie. A partir de cette richesse subite, la tragédie va s'immiscer doucement dans ce tableau idyllique et champêtre. Infiniment lentement, la cupidité va envahir le coeur de tous les personnages, à commencer par celui de Trina elle-même, qui de jolie jeune fille attachante va devenir une sorcière avide se roulant sur son or avec des regards de folle. Les personnages ne sont jamais où on les attend, et Stroheim sait à merveille leur conférer une épaisseur inoubliable : Mac, anti-héros total, attire immédiatement l'antipathie du spectateur, avec son physique ambigü, ces regards obsessionnels qu'il pose sur sa femme ; il terminera pourtant en "demi-dieu tombé" accablé par ses fautes et seul face à la mort. Il en va ainsi pour tous, depuis le cousin au grand coeur dont le coeur va ensuite déborder de haine, jusqu'aux voisins tous plus ou moins intéressés. Seul contrepoint positif à l'ensemble : un couple de petits vieux (d'ailleurs coupé au montage) qui va lier un amour loin de toute cette sauvagerie, adorables petits moments de douceur.

Sans_titre

Stroheim ne nous épargne pas les symboles pour nous faire comprendre le poids du destin qui s'abat sur les épaules des personnages : un chat reluquant avec envie deux oiseaux dans une cage, des mains rachitiques brassant des pièces d'or, un enterrement qui traverse l'écran au moment sensément le plus joyeux (le mariage de Mac et Trina)... On sent bien que tout ne va pas se faire dans le velours. Mais c'est aussi dans les moments les plus inattendus que Stroheim s'amuse à envoyer la sauce : il y a une scène de nuit de noces (comprenez de dépucelage) qui n'aurait pas déparé dans un film d'épouvante, Mac y apparaissant comme un bourreau dominateur face à cette pauvre Trina décidément bien effrayée par les hommes ; il y a aussi une galerie impressionnantes de personnages "freaks" qui ajoute à cette impression d'enfer sur terre, une voisine torve et sale, un MacTeigue senior horrible dans sa clownerie, un vendeur de ferraille digne de Dickens... Tous veulent de l'or, tous sont prêts à tout pour spolier leurs amis, tous iront au bout de leur obsession. Et Stroheim constatera l'horreur de ce monde, envoyant tout le monde dans le même sac. Au final, on aura droit à un homme seul au milieu du vide, avec son sac d'or inutile. Du grand art, indéniablement.

greed1

Commentaires
C
Bonjour,<br /> <br /> <br /> <br /> Pas vraiment d'accord avec vous tous.... j'ai vu le chef-d'oeuvre hier soir...<br /> <br /> "Naturaliste" est sûrement un adjectif qui s'impose mais est-ce un gage de qualité ? <br /> <br /> <br /> <br /> Je trouve tout extraordinairement appuyé et trivial dans ce film (dont je n'ai vu qu'une version de 1h50 sans photogrammes retrouvés). Deux ou trois adjectifs ou expression pas trop longues suffisent pour définir tous les personnages : brute au grand coeur, hystérique avare, vicieux cupide. Quelques scènes suffisent à les définir, caractère ou évolution. L'interprétation est à l'avenant, avec regards caméra intenses, torsions de bouches et grimaces en tous genre, un vrai festival.<br /> <br /> <br /> <br /> La directrice de la cinémathèque nous annonce des visions hallucinées et des images symboliques. On les a eues en effet : des plans symboliques, il doit bien y en avoir cinq (les bras décharnés brassant de l'or, etc.), les autres (sur titi et gros-minet) très monotones. Le reste est d'une simplicité visuelle qui ne peut pas retenir 5 minutes l'attention, on n'est pas loin de la forme classique, du point de vue de la mise en scène, qui commencera dans les années 30, mais sans la richesse et la finesse dont tant de metteurs en scène ont fait preuve : ici, sans les dialogues (ou les obscurités), avec des répliques très simples, sans l'interprétation, il n'y a plus grand chose. <br /> <br /> <br /> <br /> C'est pas dur : quand il n'y a pas de personnages, il faut autre chose pour maintenir l'intérêt (le mien, en tout cas) : un rythme, une forme très élaborée, quelque chose, quoi... <br /> <br /> Surtout que les spectateurs de l'époque, s'ils étaient sûrement moins blasés que nous, n'étaient pas plus débiles et n'avaient pas besoin qu'on leur assène tout. Et comme formes élaborées, le muet savait y faire : Eisenstein, Lubitsch, Lang... hyper-sophistiqués, d'une invention permanente ou d'un rythme étourdissant, leurs films sont immortels.<br /> <br /> <br /> <br /> Finalement, je crois que j'ai vu la version de 9h hier soir.......<br /> <br /> Bien à vous tout de même !!<br /> <br /> <br /> <br /> Christophe
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Z
Parfois plus célèbre pour son côté “film maudit” que pour le film à proprement parler, Les rapaces est pourtant une œuvre épique extraordinaire. Inspiré du McTeague de l’écrivain américain Franks Norris, il est un des plus grands films naturalistes de l’histoire du cinéma. Si l’on reprend la définition que Deleuze fit du naturalisme à l’écran selon laquelle il est fait essentiellement d’images-pulsion alors on est certain que le film de Stroheim en fait partie. Tout est pulsion chez ces personnages rongés par l’avarice, l’alcool, le sexe, un instinct qui redevient petit à petit proche de celui de l’état de nature. Plans magiques, chronique sociale, pessimisme (seul le couple de petits vieux apparaît comme une lueur d’espoir), Les rapaces est un film terrible et superbe à la fois. Véritablement inoubliable.
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