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30 août 2008

LIVRE : Roi, Dame, Valet (King, Queen, Knave) de Vladimir Nabokov - 1928

Sans_titreMême si on n'est pas encore, avec ce livre de jeunesse de Nabokov, dans les énormes constructions stylistiques qui suivront, Roi, Dame, Valet est un roman très agréable, sarcastique et amer. Il donne en plus quelques pistes intéressantes sur ce que deviendra Nabokov, ce qui le rend beaucoup plus profond que cette simple histoire de triangle amoureux qu'il semble raconter.

En surface, donc, l'éternelle trame d'adultère : Franz, jeune nigaud fraîchement débarqué à Berlin, s'éprend par défaut de Martha, mariée à un ambitieux mais désinvolte homme d'affaires. Le couple illicite, ça va de soi, va comploter contre le mari, fomentant un crime tout en forniquant comme des sauvages. Que du déjà-vu là-dedans, même si Nabokov réussit pleinement ses différents portraits : Franz est délicieusement creux, Martha insupportablement conventionnelle, Dreyer le mari très attachant. Mais ce qui retient surtout l'attention au milieu de cette farce boulevardière, ce sont tous les petits détails étranges que Nabokov sème sur son chemin. Ce livre est déjà ancré dans une sorte de brouillard onirique, à l'orée du fantastique, et ce grâce à des micro-inventions narratives brillantes : un cinéma en construction, qui devient le symbole de la métamorphose de Franz en homme fini ; l'arrivée de pantins mécaniques fascinants, qui plonge le roman dans une mise en abîme taquine (faire voir les fils de son récit conventionnel) ; le propriétaire de l'appartement de Franz, vieillard torve qui s'invente une femme et est persuadé d'être l'auteur du livre qu'on est en train de lire ; ou encore, grande trouvaille, un homme monstrueux privé de nez, image qui arrive dès les premières pages du livre et qui ne quittera pas l'esprit du jeune garçon. Pour toutes ces trouvailles "parallèles", Roi, Dame, Valet devient vraiment captivant, et on ne sait jamais dans quelle direction il va nous emmener. Nabokov rend poreuses les frontières entre fantasme et réalité, entre rêve fantastique et trivialité.

Ceci ajouté à une grande élégance de style, qui manie l'ellipse avec audace (d'une phrase à l'autre on change d'univers, de lieu, d'idée, à un rythme étonnant), et à un humour acerbe et misanthrope vraiment drôle : un très bon moment de jeu de massacre chez les petits-bourgeois. Les précieuses éditions de la Pleiade proposent d'ailleurs deux fins possibles à ce livre, toutes deux aussi brutales et nihilistes l'une que l'autre, et on se surprend à ricaner méchament dans les dernières pages.

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