French Cancan de Jean Renoir - 1954
En 1954, époque à laquelle quelques grands modernistes fourbissaient leurs armes (Franju, Melville et autres), Renoir nous parlait du Paris de 1890. C'est un peu ce qui gène dans French Cancan : on dirait que le gars a laissé son curseur bloqué sur le passé. Son film est ringard et démodé, un peu réac dans sa volonté de glorifier une époque où, visiblement, on savait s'amuser, une époque fleur bleue et légèrement canaille, une époque de bluettes et de princes déchus, une époque où la Butte Montmartre était le haut lieu de l'expérimentation... une époque dont on n'a finalement un peu rien à battre, bien qu'elle continue à fasciner les touristes allemands et japonais venus visiter le Gai Paris.
Habillant son film de couleurs pastels, confiant le premier rôle à un Gabin trop vieillissant et agaçant dans son cynisme sur-rôdé, meublant son scénario de romances sirupeuses que n'aurait pas reniées Christian-Jacque, Renoir semble bien, avec ce film, appartenir dorénavant à un clan gênant pour lui, celui des petits vieux qui continuent à faire du cinéma à l'encontre de leur temps. Où est passé le novateur de La Règle du Jeu ou de La Fille de L'eau dans cette débauche de frou-frous, de jolies frimousses et de légèreté ? On comprend bien que le cinéaste veut rendre hommage, en ses vieux jours, à papa Renoir, à Toulouse-Lautrec, à Marc Chagall, mais du coup on reste dans l'illustratif, dans la forme pure, dans la nostalgie à bon prix. Manque à French Cancan un vrai scénario, c'est-à-dire un regard sur cette époque, qui aurait dépassé le stade du simple hommage. Manque un but, quoi, une motivation.
Heureusement, il y a de bons motifs de satisfaction là-dedans : les seconds rôles, toujours aussi attachants (ils y sont tous : Caussimon, Clay, Deschamp...) ; un Giani Esposito en prince d'opérette poilant de cucuterie ; un magnifique plan-séquence qui démarre sur la main de Gabin qui bat la mesure pour s'ouvrir très progressivement sur un énorme décor de salle de danse ; et surtout une dernière demi-heure de pure folie, où Renoir parvient à retranscrire dans l'hystérie la ferveur érotico-chorégraphico-joyeuse du monde du spectacle au XIXème. Là, les couleurs prennent enfin leur saveur, les acteurs se lâchent, et l'écran s'emplit de formes et de sons avec une rage communicative. D'autres moments, comme suspendus, sont très beaux, comme cette chanson qui sort dans le silence, enregistrée dans son entier, émouvante, triste et belle comme tout. A part ça, c'est bien dommage, mais Renoir a pondu un film de pépé, déjà vieux avant sa sortie.
Renoir est tout entier ici