Frenzy d'Alfred Hitchcock - 1972
Après Topaz, Hitch retrouve un semblant d'élan, mais il faut bien se rendre à l'évidence : la chute du grand aigle continue. Frenzy est privé de toute émotion, qu'elle soit de l'ordre du suspense, de l'humour ou du simple plaisir de spectateur. On retrouve bien, ça et là, quelques bribes d'inspiration, quelques idées mignonettes et finaudes, mais c'est plus parce qu'on les cherche avidement qu'autre chose. Ainsi, on a droit à un très habile travelling hawksien lors du second meurtre : le serial-killer entraîne sa victime dans son appartement, ferme la porte, et la caméra glisse doucement le long de l'escalier, puis sort dans la rue animée, comme pour éviter pudiquement la violence. Cela tranche d'autant plus avec la première scène de meurtre : si elle est impressionnante justement par sa frontalité et sa crudité, elle est trop loin de l'univers habituel de Hitch pour remporter pleinement l'adhésion : où est le metteur en scène génial des meurtres de Psycho ou de Torn Curtain ? Ici, Hitch compense sa mollesse d'inspiration par une violence qui frôle la vulgarité. Beau travail cela dit, dans cette scène, sur les regards, les rythmes et les bruits.
Dans les autres points positifs, notons quand même la scène très macabre où l'assassin est obligé de pêter les doigts d'un cadavre pour récupérer sa broche ; un méchant tout à fait crédible, bien salopard et très class (George Sanders a fait des petits) ; un beau travail sur la langue (le film est à voir en VO, mais est-ce besoin de le préciser?) ; et quelques jeux amusants sur les silences.
A part ça on reste surtout perplexe devant l'humour de Bouddha : si son esprit égrillard et taquin faisait merveille il y a quelques années, on assiste ici à des dialogues absolument vulgaires, voire dignes de la pire beaufitude. Que ce soit dans les deux scènes entre le flic et son épouse (gniarf gniarf la cuisine française) ou dans les nombreuses considérations sur les femmes (c'est Laurent Gerra qui a fait les dialogues, c'est pas possible), Hitch fait montre d'une mentalité de pépé. Le pire est atteint au cours d'une courte conversation où le viol est traité comme un fantasme féminin (la serveuse d'un restau qui rougit d'envie quand elle apprend qu'une femme a été violée avant d'être étranglée). C'est du ras-la-moquette, ni plus ni moins. Enfin, Hitchcock tente de se mettre à la mode (il peut aller se coucher au niveau des costumes et des coiffures) et de filmer le sexe (violent, donc), mais là aussi, on reste bouche bée. On a bien la confirmation que Bouddha est terrorisé par "l'acte" : une femme récite un Notre Père pendant le coït, on filme des femmes nues et désarticulées dans les lumières blafardes des phares, on montre une main qui remonte pudiquement un soutien-gorge... Diable, à côté, Woody Allen est sexuellement sain.
Pour le reste, acteurs, musique, rythme, photo, on est dans le juste milieu, dans le ni-mauvais-ni-bon, ce qui, sous la plume d'Hitch, est tout de même très décevant. A voir pour constater la mort d'un grand. (Gols 01/11/06)
Ah oui, Gols peut donner l'impression ici d'avoir la dent dure (avec son idole) mais qui aime bien, châtie bien... Et difficile pour ma part de lui donner tort : où est le grand Hitch dans cette escroquerie de meurtres ? Si le cinéaste aime encore à nous donner un petit coup de frisson avec ses plans soudains sur des cadavres de femmes à la langue torve (une fois, cela fait son petit effet - après cela devient presque un gimmick comique), avouons que le rythme traîne méchamment des pieds (on aurait pu en couper la moitié sans crier au crime). Comme l'ami Gols, je me suis extasié (enfin, restons sobre) devant un très joli travelling arrière effectué en pleine rue (lorsque le tueur ramène sa proie chez lui) puis lorsque cette caméra n'ose s'inviter sur les lieux du crime et fait machine arrière – un plan séquence avec un raccord un peu douteux mais passons (une « pudeur » un peu surprenante, certes, après nous avoir montré dans la longueur le précédent crime... mais passons) : on retrouve-là une idée surprenante et originale de mise en scène qui produit son petit effet (on attend le cri qui déchirera la journée)... Mais pour le reste, brrr... Cette scène dans le camion de patates dure trois heures et le cassage systématique des doigts tire lui aussi au longueur ; qu'il récupère sa broche, ce tueur à la con, et qu'il tente rapidement une nouvelle couleur (blond vénitien avec des reflets roux, pour un tueur, c'est quand même pas bien malin). Si la musique de Ron Goodwin n'a rien de scandaleux (on sent le bon disciple d'Herrmann, tranquille), le jeu des acteurs, franchement, est un peu léger... On a du mal à comprendre comment Hitchcock a choisi ses acteurs et en particulier ses actrices : après les beautés froides et fatales, nous voici devant deux oisillonnes qui ne jouent qu'avec leur bec. De là à donner raison au tueur, il n’y aurait qu’un pas... Un tueur d'ailleurs dont les motivations psychologiques restent floues jusqu'au bout : sadique, mouais, il n'empêche qu'il fait l'amour comme s'il était sur une balançoire - on se marre devant cette séquence un peu ridicule et on y croit autant qu'Hitchcock à la barre fixe. Quant à l'histoire éternelle de faux coupable, il faut reconnaître qu'ici (après des chefs d'œuvre du genre), on a terriblement l'impression d'assister à un repas servi froid - l'idée ne fait plus recette, surtout quand elle est traitée de façon aussi molle (le moustachu recherché fait autant d'effort pour se cacher que sur son look - l'idée ne lui vient pas d’ailleurs de se raser la moustache...). Deux trois plans chocs et un maître du genre qui laisse son génie dans ses pantoufles. Alfred is almost dead. (Shang 17/02/20)
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