LIVRE : Ma Tempête d'Eric Pessan - 2023

Intermittent du spectacle en panne, David a dû mettre en veilleuse son beau projet de monter La Tempête de Shakespeare dans une optique de restauration du théâtre élisabéthain tel qu'il pouvait se faire au XVIIème siècle. Trop cher, pas assez à la mode, le projet n'a pas eu l'heur des édiles culturelles et n'a pas obtenu les subventions nécessaires ; calamité qu'a connue tout metteur en scène qui se respecte, et que Eric Pessan, venant du théâtre, a bien dû lui aussi éprouver. Qu'à cela ne tienne : à la faveur d'une absence de son épouse et de la garde de sa môme de 2 ans, il va tout de même la jouer, sa Tempête, devant le public restreint mais motivé que constitue la fillette. Acte par acte, scène par scène, accompagné par une vraie tempête qui se déchaine au-dehors, notre bougre va activer les personnages shakespeariens devant les yeux ébahis de la gosse, et trouver l'espace de quelques heures le bonheur d'être père, de créer, de transmettre, de partager.

Joli sujet, qui permet à Pessan de parler aussi bien des difficultés du métier d’artiste dans une société désormais vouée à la rentabilité à tout prix, que du fragile sentiment de la transmission de la beauté et du rôle de père. En refaisant avec les moyens du bord sa mise en scène de la pièce, il retrouve quelque chose de l'enfance du théâtre, celle qu'a dû éprouver Shakespeare lui-même : un sens du jeu pur, de l'improvisation, de la sorcellerie, une manière de convoquer les motifs et les éléments pour retrouver "l'étoffe dont sont faits nos rêves". Sa vision de la pièce est pertinente et belle, et sa façon de la raconter à sa fille est très touchante. Entremêlant les éléments de sa vie privée et la narration du spectacle, il parvient à monter une dramaturgie intime qui convoque les éléments (la belle description de la tempête qui s'abat dehors) et les sensations avec beaucoup de talent. Le livre manque peut-être un peu de portée et peut s'apparenter parfois à la plainte un peu vaine d'un artiste bloqué dans ses ambitions. On aurait aimé que Pessan creuse plus le sillon de la transmission de "l'enfance de l'art" à un enfant, justement, de ce petit truc qui passe quoi qu'il arrive d'un artiste à un public quel qu'il soit, de cette immortalité de Shakespeare. Il s'arrête là au niveau de l'anecdote, certes agréable et jolie, mais aux bras un peu courts. Il n'en demeure pas moins que son livre, pour tout théâtreux frustré qui se respecte, est un grand moment de douce mélancolie et vous redonne espoir en l'Art. Ce n'est pas la moindre de ses qualités...

Comments

[AnneduPerigord]

Ah oui, très beau livre, et qui laisse sa marque dans le cerveau et le coeur.