SERIE : Sambre d'Alice Géraud et Marc Herpoux - 2023

Certains ont des passions un peu torves. Voyez le "violeur de la Sambre" : pendant plus de trente ans, le bougre a agressé sexuellement des dizaines de femmes, les choppant au petit matin sur les bords de ladite Sambre, les menaçant et les malmenant, les violant la plupart du temps, et les laissant terrifiées et choquées. Trente ans d'impunité, trente ans d'impasses, d'espoirs battus en brèche, de victimes marquées à vie. Et trente ans d'incompétence policière aussi : les gendarmes du coin, peu habitués aux grosses affaires, bâclent l'enquête, perdent les pièces à conviction, traitent les victimes avec un rictus, et refusent de reconnaitre le côté "collection" de ces crimes. Il faudra la pugnacité d'une poignée de personnages plus investis que les autres pour venir à bout de l'enquête, en 2018 : on arrête le brave type du coin (pas de spoiler, on fait connaissance avec notre homme dès le premier épisode), le fameux "Monsieur tout-le-monde" complètement impliqué dans la vie de la ville, connu de tous et bon père de famille.

Inspirée de cette édifiante histoire vraie, cette série impeccable, filmée par Jean-Xavier de Lestrade qui, en matière d'intrigues policières inextricables, n'est pas le perdreau de l'année, est une vraie réussite d'écriture. Chaque épisode s'attache à un point de vue, un de ces personnages qui se sont impliqués un peu plus dans l'enquête : la première victime (excellente Alix Poisson), dans le déni complet de ce qui lui est arrivée, mais hantée par le prédateur ; une jeune juge qui, tout feu tout flamme, se heurtera à l'attentisme policier ; la maire d'un village de la région, profondément indignée et qui va mettre son nez partout ; une scientifique qui rêvera un moment que ses calculs et ses schémas viendront à bout du mystère ; un commandant de police enfin, en charge du "cold case" que constitue finalement cette affaire, et qui trouvera enfin le point faible de notre homme. La série se terminera par un épisode au violeur consacré, mettant en valeur l'opacité de ses motivations, la "monstruosité ordinaire " d'un homme saisi de pulsions. Cette profusion de point de vue permet de varier agréablement les angles d'attaque de l'enquête, de la sanguinité de la jeunesse à la froide analyse du commandant (impérial Olivier Gourmet).

On est pris corps et bien dans cette passionnante affaire, et on passe sans problème outre les défauts de la chose. Notamment l'inutilité de quelques personnages ou de quelques épisodes, qui ne semblent exister que pour nous faire patienter avant le dénouement (l'épisode de la mairesse, qui ne fait rien avancer du tout), ou la caricature parfois un peu épaisse des flics. Géraud et Herpoux racontent avec beaucoup de finesse les méandres de cette histoire, ne se contentant pas du point de vue des "bons" : la présence constante du violeur dans les parages, alors que nous, spectateurs, savons qui il est, ajoute un côté pervers à ce jeu du chat et de la souris. La série en profite pour raconter également toute une histoire du rapport de la société face au viol : les premières victimes, dans les années 80, sont à peine écoutées, et les auteurs posent sur ce fait un regard très douloureux. L'empathie et l'humanisme semblent bien être les mots-clé de Sambre, qui a une pâte humaine précieuse. Rigoureux et documenté (même si la série ajoute des éléments romanesques à l'histoire vraie), voilà un film remarquable à tout point de vue.