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Shangols
REALISATEURS
GODARD Jean-Luc 1 2
 
 
 

 
 
 
 
 
 
 
 
 
19 décembre 2022

Ne dis rien (Gæsterne) de Christian Tafdrup - 2022

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Nos commentateurs le faisaient remarquer récemment : 2022 aura été incontestablement une bonne année pour le cinéma d'horreur. Comme si leurs réalisateurs avaient enfin compris, après plus de 30 ans de diète, que le genre pouvait être adulte et sérieux, parler de choses graves et importantes, tout en travaillant sur de nouvelles formes de mise en scène. Ce Christian Tafdrup, en tout cas, semble avoir réfléchi à son fond et à sa forme avant de se lancer dans ce beau Ne dis rien, sobre et subtil, anti-spectaculaire à mort (ce qui est étonnant dans ce type de productions) et assez traumatique au bout du compte. Le film vous rentre dans la tête par la force de ses images et de son concept, et vous revient sans cesse avec ses questions importantes : jusqu'où peut-on aller pour rester dans les conventions sociales ? Qu'autorise-t-on par politesse ? Où s'arrête la civilisation, où commence la sauvagerie ?

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Ce sont les questions que se posent tout au long du film Bjorn et Louise, brave petit couple de Danois invités par un autre couple, hollandais, rencontré en vacances. Un petit week-end de farniente, de discussions et de picole qui s'annonce serein, mais qui va se teinter progressivement, dans une spirale magnifiquement retenue par le réalisateur, d’humiliations, de brimades, de violence. Ce qui démarre avec des détails sans importance (une radio allumée trop fort, une intimité un peu trop pressante, des remarques un peu blessantes) se transforme au cours du film en actes de plus en plus malveillants, notre duo de Hollandais excellant à distiller le chaud et le froid dans le cerveau désemparé de nos Danois. Avec à la clé ces deux enfants qui deviennent les objectifs de ce cruel jeu de domination, d'humiliation et de perversité. Ce qui bluffe le plus, c'est la mesure du film, qui gère et retient parfaitement ses effets : le film est lent, très peu spectaculaire, mais vous fiche une angoisse latente qui ne vous quitte pas du début à la fin. On sent que ça va exploser, mais on ne sait jamais quand, et Tafdrup, dans une parfaite connaissance des sensations qu'il déclenche chez le spectateur, dirige au millimètre les émotions de son film. Dès qu'il va trop loin, il sert une scène chaleureuse, réconciliatrice, qui nous fait repartir pour un tour de manège... avant de nous replonger quelques minutes plus tard dans le malaise. Servi par des acteurs épatants, il parvient à réaliser un film d'horreur sans horreur, par des effets intelligents (le plan d'ouverture, vraiment génial, qui montre une voiture s'enfoncer dans les bois la nuit, avec l'angoisse qui peut surgir à chaque tournant ; la belle séquence de la douche où tout se joue sur les sons ; le final, impressionnant de brutalité), gérant son suspense en orfèvre. Cette gestion de la tension s'avère hyper efficace : le film vous vrille les sens et reste durablement en tête, comme un cauchemar. Un cauchemar sans bruit, sans monstre gluant, sans sang qui gicle, mais un cauchemar justement bien plus effrayant parce qu'il joue sur des sentiments troubles : jusqu'où, nous, serions-nous allés dans cet exercice de manipulation sophistiqué ? Un film magnifiquement tenu et intelligent : mes respects.

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Commentaires
H
Oups, je me suis carrément répété (« pas si original et étonnant que cela » redoublé) dans mon message précédent ! Al Zheimer me guette...
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H
D'accord, mais : un film « intelligent », « tenu », « sobre », « sans bruit, sans monstre gluant, sans sang qui gicle, mais un cauchemar justement bien plus effrayant parce qu'il joue sur des sentiments troubles », n'est-ce pas devenu sinon la norme, du moins une tendance de fond (et, du coup, pas si originale et étonnante que cela) du cinéma fantastique et/ou d'horreur de ces dix dernières années — lequel film, du coup, ne serait pas si original et étonnant que cela, aussi appréciable (et diversifiée) que soit cette tendance ? Je pose la question !
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